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La cadence « eotmori »

« Dung takung kung takung ». Cela fait un moment que les inscrits à un cours de gukak pour débutants s’entraînent à cette cadence appelée « eotmori », « cadence décalée » selon la traduction littérale, et qui représente une particularité de la musique coréenne traditionnelle.


« Allez-y, encore une fois : Dung takung kung takung », dit l’enseignante, Seo Haeng-bok, munie d’un janggu, un tambour en forme de sablier. Seo de son nom de famille, elle porte un prénom qui veut dire « bonheur ». Depuis le début de son cours, elle a effectivement l’air heureux. Elle est sans doute heureuse de voir qu’en ce XXIe siècle, il y a toujours un certain nombre de Coréens qui sont intéressés, passionnés même, par la musique traditionnelle de leur pays.


 « Oetmori » est une cadence composée de dix battements qui sont divisés en deux : « Dung takung » et « kung takung ». En voici cette fois une variante : « Dung takungtakung takung ». C’est plus rythmique ou mouvementé. Un peu plus difficile aussi à exécuter pour les débutants. Les élèves s’y entraînaient assez longtemps avant de passer à une troisième variante, encore plus difficile à exécuter : « Dungkungtakungtakung takung ».


 « Ne cherchez pas à mémoriser ça », conseille l’enseignante. « Laissez la cadence s’emparer de vous. Ce n’est pas avec la mémoire, mais avec le corps qu’on fait de la musique. » Il s’agit sans doute d’une remarque pertinente, non seulement en gukak, mais aussi dans la musique tout court.


La cadence « oetmori » est notamment assez souvent utilisée dans le pansori, le récit chanté ou l’opéra coréen, pour décrire par exemple les actions d’un personnage de façon à remplacer les compléments circonstanciels par la cadence musicale. Prenons l’exemple du « Chant de Heungbo » qui raconte l’histoire de deux frères, Nolbo, un méchant homme, et son petit frère, Heungbo, qui se soumet, sans aucune plainte, à l’autorité de son aîné, souvent injuste au point d’être absurde.


« Voilà Heungbo qui revient », chante l’unique interprète dans l’opéra coréen à un seul chanteur. Notre personnage revient du tribunal de sa commune, et ce ayant purgé une peine corporelle à la place d’un administré, assez riche, qui y avait été condamné. Le pauvre homme, chassé de la maison paternelle par son grand frère et tombé depuis dans la misère, avait accepté de se substituer au vrai condamné contre la promesse d’une rémunération.


« Voilà Heungbo qui revient », chante l’interprète dans un autre passage. Il revient du même lieu, là où il a été cette fois devancé par un autre condamné de substitution. Autrement dit, celui-ci lui a volé son gagne-pain. Les deux « voilà Heungbo qui revient » ne sont pas cadencés de la même façon. Dans l’un, il s’agit de décrire la marche pénible d’un homme qui a été châtié au moyen d’un bâton ; dans l’autre de celle d’une personne à la fois déçue et soulagée. « Dung takung kung takung » dans l’un ; « Dung takungtakung takung » dans l’autre...


 « Voilà un moine ». Ainsi commence un autre passage du « Chant de Heungbo ». Il est également ponctué par la cadence « oetmori ». Celle-ci a ici une fonction d’avertissement qui consiste aussi à réanimer l’auditoire. En fait, rappelons qu’un numéro de pansori dure plus de deux heures pour le plus court. Un temps assez long s’étant écoulé, le public risque de commencer, sinon à s’ennuyer, à devenir distrait. Le chanteur l’incite alors, au moyen du changement de cadence, à se préparer à un nouvel événement imminent.


 Le moine, qui vient d’apparaître devant Heungbo en même temps que devant le public, prend pitié du pauvre homme, et ce d’autant plus qu’il est doux et honnête. Comment les aider, lui et sa famille, à sortir de leur pauvreté ? Le religieux, éclairé sur différentes sciences du fait d’être passionné pour l’érudition autant que pour l’imitation du bouddha, est aussi un assez bon géomancien. Il indique à Heungbo un endroit où il ferait bien de construire sa baraque. Un lieu portant bonheur. La suite du récit chanté nous convainc que ce moine n’était pas un charlatan. Par ailleurs, il n’a rien demandé de Heungbo contre la communication d’un secret.


 La cadence « eotmori » a entre autres fonctions celle d’annoncer l’apparition d’un personnage mystérieux, cela est bien connu des amateurs de pansori. C’est effectivement entre autres le cas dans « Sungungga » ou « Le Chant du palais sous les mers », quoique le personnage en question ne soit une créature jamais vue, voire mystérieuse, qu’aux yeux d’un autre personnage qui l’aperçoit : une tortue qui a entamé son voyage terrestre à la recherche d’un lapin et qui a rencontré un tigre. « Le voilà qui descend, chante l’interprète, balançant une tête de ver à soie, trainant une grosse corde ». La cadence est : « Dungkungtakungtakung takung » comme représentant le battement du cœur de la tortue effrayée face à cet animal féroce qu’elle n’a jamais vu.


 En adaptant ce morceau de chant à sa manière, un groupe de musiciens contemporains, Leenakchi Band, a remplacé la cadence « oetmori » par une mesure à quatre temps. Etait-ce en pensant au jeune public peu familier avec la cadence décalée ?


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Arirang » chanté par Gang Gwon-sun.
  2. « Chant de Heungbo » par Kim Yul-hee.
  3. « Voilà un tigre » chanté par Leenakchi Band.

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