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Pollen of Flowers : l'œuvre au noir des années 1970

2022-08-03

Séoul au jour le jour


Nous commençons une série estivale autour de grands classiques des années 1970-80. « Pollen of Flowers » est un film légendaire de 1972, signé Ha Gil-jong. Entre le Pasolini de « Theorema » et le Kim Ki-young de « The Housemaid », cette histoire de maître de maison tyrannique vivant entre sa maîtresse (jouée par la star Choi Ji-hee), la fille de celle-ci et son jeune secrétaire a été étrillée par la censure dictatoriale. Une version enfin recomposée existe aujourd'hui, même s'il faut patienter sur les premières 20 minutes avant que l'action n'arrive.



* Cinéaste en ébullition

Pour son premier film après UCLA, Ha Gil-jong fait fort. Les producteurs de « quotaquickies » (films à petit budget vite tournés) ont probablement cru à un projet de film érotique, aka « film d’hôtesses » qui pullulaient à l'époque. Disons-le :  « Pollen of Flowers » est souvent catalogué comme premier film coréen à évoquer l'homosexualité entre hommes et la bisexualité, mais cela va plus loin dans la métaphore psycho-sociale de l'asservissement des hommes comme des femmes objétisés mentalement et physiquement par le pouvoir traditionnel. La jeune Miran jouée par une Yun So-ra au profil raphaélien (à rapprocher de l'actrice Moon Sook), précise « secrétaire donc esclave » au jeune éphèbe Dan-ju (joué par Hah Myung-joong) qui, par métonymie, se fait écraser comme le poisson rouge empoigné par le maître jaloux dans son aquarium. Dan-ju rit pourtant presque à l'unisson des maîtres quand Miran a ses premières règles ; symbolique car très tardives, elles signalent le rejet de la féminité par la tradition. Cette dernière, à travers les maîtres et la grisaille dans laquelle semble plongée le pays, refusera à Dan-ju et Miran leur histoire d'amour moderne. L'annonce du suicide d'autres jeunes amants stigmatise la chose. Cette critique de la tradition réfute la réception locale qui a souvent vu là une dénonciation de la décadence liée à l'occidentalisation. Certes, à travers les TV, frigo, piano et lit, le film note l'occidentalisation du Hanok des maîtres mais sans plus.


* Cinéphilie

Le film est truffé de références cinéphiliques. L'escapade des amants au crépuscule sur la plage et leur poursuite par le maître soudain jaloux (joué par Nam Kung-won) résonne de « Un homme et une Femme ». Kim Ki-young est présent avec les rouges psychédéliques de certaines scènes et l'usage de rats par la servante pour titiller ses maîtres (l'homme en fait une crise d'hystérie en plein ébats érotiques). L'intrigue pasolinienne s'immisce peu à peu surtout lorsque les trois femmes partent en quête de Dan-ju, battu et enfermé dans une cave par le maître. Elles constatent son absence mais aussi le fait qu'elles sont toutes là, et le film les laisse longuement se regarder silencieuses tandis que les notes sifflantes d'un orgue hante la scène.


* Un styliste et des scènes fulgurantes

Ha Gil-jong fait un film stylisé. La musique d'abord dont l'emploi surprend : du jazz aérien dans la scène entre Danju et Miran pour la première fois dans une chambre ; un montage-séquence muet de disputes entre le quatuor sur une musique moderne ; la soirée finale où les bourgeois titillent la servante sur une musique décalée de guitare psychédélique sombre et différente de celle qu'on imagine dansée par les convives ; des échos de voix distordues de haut-parleurs dans la gare où Danju cherche Miran, etc. La recherche d'une poétique visuelle est aussi claire lors des scènes de pluies où les amants errent dans les grises friches urbaines avant de se réfugier dans la cabine d'une pèle-mécanique : tout un symbole du pays à l’époque. Le filmage au zoom des rues laborieuses et grises alterne avec du David Hamilton pour des flous et brillances, des couleurs fanées qui s'intensifient vers la fin.  Enfin des scènes fortes formellement et provocatrices dans le contenu charpentent le film : la poursuite en montage alterné sur la plage entre Danju à pied et son maître jaloux en voiture au soleil couchant. En discontinuité avec la course de Danju, le rythme du jeu du conducteur est décalé, comme pour décrire les émotions intérieures et grimaces extérieures du mâle blessé dans son orgueil. La scène de l'apparition de Danju devant une maîtresse esseulée dans son lit, d'abord récalcitrante puis étrangement consentante, est l'une des plus osées érotiquement avec la vue sans-dessus-dessous d'une Choi Ji-hee avide entre les cuisses velues de l'éphèbe soudain devenu dominateur. La violence du crêpage de chignon entre cette même maîtresse et la servante rebelle (elle martèle hystériquement son « dadeumi »), ainsi que le « vampirisme » du maître mordant bestialement la nuque du frêle Danju soudain apparu de sa cave tel un zombie blafard au milieu de la soirée bourgeoise annoncent un final aussi tonitruant qu'inattendu.



* Le final

Le film bascule dans l'horreur lorsque les créanciers, les bourgeois fêtards de la veille débarquent dans le hanok des 3 femmes. Le maître, ruiné, s'est volatilisé ; Danju bat la campagne. Pour récupérer l'argent, la maison est pillée avec force marchandage. Dans l'hystérie, les femmes battent la maîtresse, l'amputent d'un doigt pour emporter sa bague et lui arrache à la pince ses dents en or. Enfin, deux hommes la violent dans une scène godardienne, quasi mimée et conclue par le hoquet de la victime. Il y avait de quoi interloquer les censeurs qui amputèrent largement le film à sa sortie. Mais la réputation d'auteur sulfureux était faite pour Ha Gil-jong qui devint un peu caricaturalement le symbole de la résistance à la dictature alors qu'il s'attaquait à bien plus profond.

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