« Les romans meurtriers », roman policier de Kim Tak-hwan traduit par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, paru aux éditions Philippe Picquier en 2010.
* Présentation
Yi Myeong-bang rencontre son frère de sang Yanoi, grand expert du combat à cheval auprès duquel il a appris le maniement du sabre et le tir à l’arc. Ce dernier emmène notre narrateur à la réunion des plus grands écrivains de Joseon. Ils arrivent au pavillon d’étude de Seo Sang-su, adepte de l’école de Baektap, où les jeunes lettrés férus de peinture, de calligraphie et de poésie se réunissent pour débattre de science et de société. Nombre d’entre eux sont des bâtards qui ne peuvent pas accéder à la fonction publique. Lors de la réunion, Danwon Kim Hong-do, le meilleur peintre de l’Institut national des beaux-arts sort un rouleau. Lorsqu’il le déplie, le portrait en pied d’un homme apparaît.
* Extrait (pages 51 à 52)
[...] Ce front large, ce nez fin... le visage m’était familier. Où l’avais-je vu ? Vêtu d’un manteau au col droit et aux manches amples, il levait légèrement le menton vers la droite. Sa main gauche tenait un gat. Les yeux fixés dans le vide, il semblait absorbé dans ses pensées. Ou alors, il somnolait. J’essayai de me rappeler les visages des fonctionnaires de la Haute Cour, mais je ne trouvai personne qui ressemblât à cette belle figure. A en juger par ses traits et les livres qui s’entassaient derrière lui, l’homme devait être un érudit. Yanoi, qui s’était approché de moi en catimini, me donna un léger coup de coude et demanda :
— Qu’en penses-tu ? C’est bien dessiné, non ? Voilà le corps entier d’un homme dont le cadavre est maintenant dispersé aux quatre coins du pays.
— Ah, c’est ça !
Les jambes chancelantes, je fus incapable de me redresser. C’était lui, Cheong Un-mong ! Le romancier écartelé, mon premier criminel, celui que j’avais arrêté en ma qualité de dosa de la Haute Cour. De quel droit Danwon avait-il peint un portrait de cet odieux scélérat ? Il méritait punition.
— Mets tous tes soins à achever ce portrait, dit Dam-heon en hochant la tête. Tu le donneras à sa famille. Et j’aimerais aussi en avoir un. [...]
— Et moi, je voudrais que tu me dessines cette nuit d’hiver où nous avons gravi avec lui le mont Keumgang, demanda Chojeong.
Tous les lettrés réclamaient à leur tour un portrait. La vénération et le respect que j’éprouvais pour les écrits et l’érudition de ces hommes se dissipèrent d’un seul coup. N’avaient-ils donc peur de rien ? pensai-je. A l’encontre de toute loi, ils ressentaient de la pitié pour un criminel écartelé. Quel genre d’hommes étaient-ils au juste ? Sous prétexte de discuter littérature et voyage, ne se réunissaient-ils pas là pour troubler l’ordre public et comploter contre le roi ? Quelle insolence de la part d’un peintre d’avoir exécuté le portrait d’un assassin alors que le sang n’avait pas encore séché sur le lieu de son exécution ! Et les autres ! Partager leur tristesse et leur compassion pour le meurtrier, quelle impudence ! Ils avaient beau être érudits et épris de poésie, je ne pouvais les laisser continuer ainsi. Je devais commencer par leur confisquer ce portrait, puis les sommer de se justifier.
Je me levai d’un bond et m’écriai :
— Que signifie une telle indignité ? Croyez-vous pouvoir vous en tirer impunément ?
Tous les regards se tournèrent vers moi. Yanoi se leva à son tour. Je fis un grand pas en avant et piétinai la feuille de papier sur laquelle Danwon avait commencé à peindre la promenade au mont Keumgang. Je foudroyai du regard le peintre qui, blanc de peur, avait lâché son pinceau. Puis je menaçai les autres :
— Remettez-moi tous ces dessins prohibés. Sur-le-champ !