« Les romans meurtriers », roman policier de Kim Tak-hwan traduit par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, paru aux éditions Philippe Picquier en 2010.
* Présentation
L’assemblée découvre que le jeune homme qui les menace est Yi Myeong-bang, le fameux dosa de la Haute Cour qui a arrêté Cheong Un-mong. Malgré l’insistance de ce dernier, les amis de l’écrivain écartelé refusent de se laisser confisquer ses portraits. Ils décident alors de discuter pour savoir si Cheong Un-mong était coupable ou non. Yeong-jae, l’un des hommes rassemblés demande à notre narrateur de relater son enquête depuis le début.
* Extrait (pages 58 à 60)
— Très bien.
J’acceptai sans hésiter et demandai un verre d’eau à Gwanjae, le maître de maison. Mon accès de colère m’avait desséché la gorge.
— Comme vous le savez, cette affaire était très confuse au début, car les victimes étaient d’origines diverses et habitaient différents quartiers de la capitale [...]. Difficile de trouver des points communs entre eux. Mais tous étaient morts étranglés. La Haute Cour et la police s’étaient mobilisées mais n’avaient pas réussi à capturer le meurtrier. Malgré la récompense colossale offerte, nous ne tenions pas la moindre piste et l’assassin continuait de sévir, comme pour nous narguer. C’est au moment où le découragement des fonctionnaires et des soldats était à son comble que je suis arrivé à la Haute Cour. Le roi nous donna l’ordre de reprendre l’enquête à zéro. Comme j’étais novice, il me fallut plus de quinze jours pour classer tous les documents et pièces à conviction qui encombraient mon bureau. Je mangeais et dormais sur place, me servant de livres comme oreiller. Pour finir, je marquai à l’aide d’un pinceau fin à poils rouges chaque indice relevé sur les lieux des crimes, pour les relier aux noms des victimes figurant sur la liste qu’on m’avait remise. Vêtements, couvertures, chandelles, et autres objets ordinaires constituaient la plupart des pièces à conviction. Quand la victime était une femme, il pouvait y avoir aussi un miroir en laiton ou une coiffeuse. J’avais hâte d’achever ce rangement car une fois terminé, je pourrais enfin rentrer chez moi et dormir plus à l’aise.
Un matin de bonne heure, alors que j’en étais à peu près à la moitié de la liste, je sortis prendre l’air. Le vent d’automne était frais. En me promenant dans l’arrière-cour du bâtiment de l’Euikeumbu, je compris tout à coup : il y avait un point commun entre tous les assassinats.
— Quel était-il ? demanda Hyeong-am.
Je me frottai le dos des mains comme pour les réchauffer devant un feu et répondis :
— Les romans ! Dans la chambre de chaque victime, il y avait un roman.
— Oui, mais il n’est pas rare, de nos jours, de trouver un roman dans au moins un foyer sur deux, intervint Chojeong. Ce devait être une coïncidence...
— Non, je ne crois pas, le coupai-je en le regardant droit dans les yeux. Sur chaque scène de crime, il y avait une table de lecture sur laquelle on avait systématiquement trouvé...
— Un roman de Cheong Un-mong, c’est là que vous voulez en venir ? interrompit Yeong-jae.
— Exactement. Les titres étaient différents, mais tous étaient de Cheong Un-mong.
— Ha ! ha ! ha ! s’esclaffa Yeonam. Vous voulez dire qu’il assassinait et posait l’un de ses romans sur la table? Même le pire imbécile ne ferait pas une chose pareille !
— Au début, je raisonnais comme vous. Je me demandais si le tueur ne laissait pas délibérément ses livres pour l’incriminer. Mais comme ce point commun était le seul que j’avais trouvé, je fus bien obligé d’enquêter sur l’écrivain. Tout d’abord, je ne l’incarcérai pas, à cause de sa réputation de romancier. Je me contentai de l’interroger sur son emploi du temps au moment des crimes. Pour la plupart, il ne s’en souvenait pas. Quant aux jours qu’il arrivait à se rappeler, il affirmait les avoir passés dans son bureau à écrire.