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Savez-vous compter en coréen ? « Il », « i », « sam »... un, deux, trois... Dites quelque chose dont le premier morphème est homophone d’un nombre, et ce de 1 jusqu’à 10, de « il » jusqu’à « sip », et cadencez vos paroles. Vous avez « Gakseori taryeong », une vieille forme de chant coréenne évoquant le rap.

 Les paroles peuvent varier à l’infini selon les gens qui le chantent, voire selon leur inspiration, alors qu’ils respectent la règle de base, à savoir qu’un couplet commence toujours par un morphème homophone d’un nombre. Qui a pu inventer cette forme de chant ? Autrement dit, qui a été le premier rappeur coréen, en quelque sorte ? Les mendiants ? Puisque, selon le dictionnaire, « gakseori » est un mot familier qui les désigne, si bien que « Gakseori taryeong » veut dire « chant des mendiants ». Un vieux Coréen se souvient en effet d’un groupe de vagabonds qui le chantait devant une maison fêtant un heureux événement, le 60ème anniversaire d’un membre de la famille par exemple, pour solliciter le partage du repas de fête, voire des dons.

En réalité, ils ont copié un groupe professionnel, des vagabonds comme eux qui étaient en fait des commerçants ambulants passant d’un village à l’autre ou d’une foire à l’autre. Ces derniers chantaient « Gakseori taryeong » ou « Jangtaryeon », le « chant du marché », selon leur propre terme, pour faire venir des clients. La définition du mot « gakseori » dans le dictionnaire devrait être révisée de façon à être plus précise. Cela ne désigne pas tous les mendiants, mais ceux qui chantent un chant dont les paroles est caractérisées par « gakseol », changement de sujet. En fait, dans une chanson de ce genre, un couplet commençant par un nombre raconte ce qui n’a rien à voir avec les paroles du précédent. Mais au fait, entre le nombre 1 et le 2 par exemple, y a-t-il un rapport, sinon que le second suit tout simplement le premier ? De ce fait, « Gakseori taryeong » va bien avec un mendiant qui vit au jour le jour et aussi avec un marchand ambulant qui ne se préoccupe pas tellement, lui non plus, du lendemain. 


Il était une fois un grand voyageur, un certain Cho Su-sam, lettré confucianiste du XVIIIe siècle, dont l’humeur était vagabonde. Nullement intéressé par la fonction publique à laquelle il était destiné par sa naissance et par sa formation, il préférait parcourir le monde, découvrir différents paysages et aussi rencontrer différents types de gens. Dans ses mémoires, son seul et unique livre, il se souvient effectivement des personnes originales ou impressionnantes qu’il a rencontrées à l’occasion de ses multiples voyages. Un jeune garçon par exemple, qui s’est mis sur la route à la recherche de son petit frère mystérieusement disparu. « Ah ! si j’étais un oiseau... » disait-il en racontant son histoire à notre voyageur. Il le souhaitait, car il pourrait alors voler au-dessus des monts et des eaux pour trouver son cher frère. Puis, comme pour se changer les idées, il s’amusait à évoquer les caractéristiques de différentes espèces d’oiseaux selon son observation et à en attribuer chacune à une catégorie de personne :


 Les hirondelles, comme elles sont bavardes

J’en attrape une pour me donner une servante

Les rossignoles, comme elles chantent bien

J’en attrape une pour me donner une concubine


Il se peut que ce jeune garçon soit à l’origine du chant folklorique « Sae taryeong », dont les paroles énumèrent différentes espèces d’oiseaux avec leurs caractéristiques. 


Dans ses mémoires, Cho Su-sam raconte aussi sa rencontre avec un musicien ambulant, un joueur de haegeum qui devait avoir une soixantaine d’années et qui vagabondait, mêlé aux « gakseori », les mendiants chanteurs. C’était un artiste extraordinaire, fort à l’improvisation, et qui ainsi amusait bien les spectateurs. Ces derniers pouvaient lui proposer n’importe quel sujet pour écouter tout de suite un développement musical. « Tiens ! un écureuil », dit l’un d’eux. L’archet du vieil instrumentaliste se met en mouvement sur les deux cordes et produit une musique faisant imaginer un écureuil qui tourne en rond, puis se dérobe. Quand les spectateurs ne trouvent plus de sujet à proposer, le musicien interroge son haegeum : « Alors, qu’est-ce que tu vas jouer ? » Les gens éclatent de rire. Décidément, c’était un artiste qui savait animer son public. Son image était gravée dans la mémoire de notre grand amateur de voyage qui avait alors à peine 20 ans.

 Cho Su-sam a sans doute rédigé ses mémoires dans sa vieillesse. Il raconte en effet ce qui s’est passé d’incroyable le jour où il fêtait ses 60 ans. Un groupe de mendiants chanteurs est venu pour en profiter. L’hôte n’en croit pas ses yeux, car parmi ces « gakseori », il trouve le vieux joueur de haegeum qu’il a rencontré dans sa jeunesse. « Ce n’est pas possible », se dit-il. Il pense alors qu’il s’agit du fils du musicien ambulant qui a marqué sa jeunesse. Puis, il dit : « L’humeur vagabonde est sans doute héréditaire. »


Liste des mélodies de cette semaine

1. « Jangtaryeon » chanté par Kim Yong-woo

2. « Sae taryeong » chanté par le groupe Torys

3. « Le Cirque », concerto pour haegeum joué par Gang Eun-il

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