Aller au menu Aller à la page
Go Top


Chant du moulin

Destination Jindo. C’est une île méridionale réputée pour sa longue et riche tradition en matière de « sori », le « chant » en termes de gukak. Ce mot se retrouve notamment dans le pansori, « chant épique » ou « récit chanté ».


« Si tu n’aimes pas le sori, tu n’es pas de chez nous », disent traditionnellement les habitants de cette île, très attachés à leur identité culturelle. A l’un des leurs qui, effectivement, prétend être un grand amateur de chant folklorique, ils peuvent aller jusqu’à lui demander : « Vas-y ! Tu en chantes un. » Autrement dit, pour être reconnu comme un membre à part entière de la communauté de Jindo, il ne suffit pas d’aimer le sori, mais aussi de savoir le chanter, de bien chanter devant certains insulaires, sévères dans ce genre de reconnaissance.


Ainsi, il n’est pas étonnant que nombre de grands chanteurs de gukak ou grands « sorikun », « professionnel du sori », soient originaires de Jindo, comme Cho Gong-rae par exemple, une chanteuse née en 1925 et décédée en 1997. Son album, « Une voix de la terre », est l’un des mieux vendus dans l’histoire du gukak. 


En écoutant une voix si puissante, comment imaginer le destin si tragique d’une Coréenne née sous l’occupation japonaise ? Cho a été forcée de se marier précocement par ses parents qui craignaient que leur fille ne soit « recrutée » parmi les « femmes de réconfort », victimes du système d’esclavage sexuel organisé par l’armée impériale du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a échappé à ce mauvais sort, mais pour finalement en subir un autre : son mari, un homme brutal et violent, la battait pour un oui ou pour un non, et la trompait avec une autre femme. La pauvre jeune épouse se souvenait alors tristement de son enfance douce et joyeuse, marquée notamment par la présence quasi quotidienne des artistes ambulants dans la maison de son père, grand amateur de sori. Elle gardait en mémoire les chants qu’elle écoutait presque tous les jours. Elle les chantait, d’abord en solitaire, puis devant un public. C’est ainsi qu’elle est devenue chanteuse et n’a pas tardé à jouir d’une célébrité. Son mari la battait encore, cette fois à cause de la jalousie sans doute. La voix puissante de Cho Gong-rae est peut-être une manifestation de sa révolte intérieure.


Les Voeux

Le cas d’un autre célèbre « sorikun » originaire de Jindo, Park Byeong-cheon, incarne une autre forme de révolte. Il est né en 1933 dans une famille de « danggol », dialecte de cette île, qui désigne un chaman. En fait, à Jindo, chaman est un métier qui se transmet de génération en génération au sein d’une même famille. Park avait parmi ses aïeux une chamane et devait ainsi, dès son enfance, faire face à un certain mépris de la part des garçons et des filles de son âge. Il est vrai qu’hier comme aujourd’hui, chaman était considéré comme un métier peu noble. On comprend alors pourquoi le futur grand professionnel du gukak est resté longtemps particulièrement hostile envers tout ce qui relevait de la culture chamanique, et du coup tout ce qui était de l’ordre du traditionnel, d’autant que le chamanisme était une croyance populaire pratiquée en Corée depuis la nuit des temps. Et pourtant, le voici qui fait volte-face, alors qu’il a plus de 40 ans. Il fouille d’abord dans son héritage familial, puis dans la tradition culturelle de sa région d’origine, pour découvrir des formes d’art relevant du chamanisme et les mettre en valeur grâce à son talent artistique hérité sans doute de ses aïeux. Retour à ses origines ou révolte à ce qui l’avait amené à chercher à les renier ?


Jeseok gutmaji

Certains se révoltent contre leur destin ; d’autres s’y soumettent. Une grande chanteuse également originaire de Jindo, Kim Dae-rae, appartient à la seconde catégorie. Elle a appris le sori, voyageant sur le dos de sa mère, une chamane. On imagine celle-ci cheminant vers un village où elle va célébrer un « gut », un rituel chamanique. Comme elle n’a personne à qui confier sa fille encore toute petite ou peut-être pour ne pas se séparer, que ce soit même pour un court moment, de sa chère enfant, elle l’emmène sur son dos. Sur le chemin qu’elle parcourt à pied, la voyageuse s’ennuie, d’autant qu’elle n’a comme compagne qu’une môme incapable de discuter avec elle.


Elle fredonne alors un air de musique, un chant chamanique. Son rythme particulier va rester gravé dans la tête de l’enfant faisant, sur le dos de sa mère, un incessant va-et-vient entre somnolence et éveil, entre rêve et réalité. Devenue grande, elle s’amuse à fredonner la chanson de sa mère et, pour la chanter exactement comme elle, devient chamane. Une façon pour elle de vivre pour toujours avec sa douce mère, de demeurer une enfant sur le dos chaud de celle-ci. 


Liste des mélodies de cette semaine

1. « Chant du moulin » par Cho Gong-rae.

2. « Les Voeux » par Park Byeong-cheon.

3. « Jeseok gutmaji » par Kim Dae-rae.

Contenus recommandés

Close

Notre site utilise des cookies et d'autres techniques pour offrir une meilleure qualité de services. En continuant à visiter le site, vous acceptez l'usage de ces techniques et notre politique. Voir en détail >