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Le parasol chinois, firmiana simplexe de son nom scientifique, était en quelque sorte un arbre fétiche des lettrés confucianistes du royaume de Joseon. Car leur autre objet de culte, le phœnix, un oiseau imaginaire et n’apparaissant qu’à une période de grande paix, était censé construire son nid nulle part ailleurs que dans cet arbre caractérisé par ses feuilles palmées, atteignant 30 cm de large. Les lettrés du Joseon constituant la classe dirigeante du pays, s’ils menaient une vie assez aisée pour habiter dans une villa, avaient ainsi l’habitude de planter un parasol chinois dans leur jardin, en espérant l’accueil du phœnix, autrement dit, la grande paix dans leur royaume.

 Rappelons qu’un intellectuel de Joseon était, assez souvent, un poète au cœur romantique. Voici un poème qui est à attribuer à celui qui fut ainsi marqué à la fois par une intelligence froide et un cœur chaud. Soucieux aussi de la paix dans son pays, digne donc de la classe dirigeante à laquelle il appartenait, il avait justement planté un parasol chinois dans son jardin :


 Une silhouette passe

 Sur la fenêtre garnie de soie bleue

 C’est elle ; je bondis dehors

 Le jardin ne se trouve rempli

Que de lumière de la pleine lune

C’était une feuille de parasol chinois

Qui a jeté son ombre sur la fenêtre

Heureusement c’est la nuit

 On aurait pu rire de moi


 Le poème, étonnant par la franchise d’un adepte de Confucius, a été mis en musique de façon à devenir un « gagok », un chant lyrique La scène dont il s’agit dans le poème chanté s’est sans doute déroulée en automne, saison où le parasol chinois, un arbre décidu, commence à perdre ses feuilles. La saison, annonçant « les froides ténèbres » dans les termes de Baudelaire, aurait rendu notre lettré confucianiste particulièrement mélancolique pour écrire un poème témoignant de sa solitude.

Voici cette fois une femme qui, manifestement, fut également sujette à cet effet automnal. Il s’agit de Shim Cheong, l’héroïne d’un numéro de pansori éponyme.

 Ce n’est plus cette pauvre jeune fille qui s’occupait seule de son père non-voyant et qui, pour réparer une grosse bêtise de celui-ci, avait accepté de se donner en sacrifice vivant qu’un navire marchand chinois cherchait pour calmer l’éventuelle colère du dieu de la mer. Elle fut heureusement sauvée par la flotte de la marine royale. De quel pays ? On l’ignore. En tout cas, ce devait être un royaume loin du pays d’origine de Shim Cheong, qui avait charmé le prince, son sauveur, et qui devint finalement son épouse, puis la reine. Elle regrette énormément son père, mais reste sans moyen pour lui faire parvenir de ses nouvelles. Un jour d’automne, elle se chagrine particulièrement, lorsqu’elle voit, dans le ciel, une formation en V de vol. C’est celui des oies sauvages. « Ils se dirigent peut-être vers mon pays », se dit-elle. Sur ce, elle se souvient d’une légende selon laquelle un Chinois, à l’époque de la dynastie Han, un certain So Mu, utilisa une oie sauvage afin d’acheminer un message. Elle chercha alors une feuille de papier et trempa son pinceau d’encre chinois. Mais que dire pour commencer sa lettre ? « Papa, je vais bien » ? Cela ne serait pas du tout à la hauteur de son émotion. Elle cherche et cherche des mots. Et quand elle lève les yeux vers le ciel en réfléchissant, elle s’aperçoit que le groupe d’oiseaux migrateurs n’y est plus. Tout cela constitue l’un des passages les plus pathétiques de « Shimcheongga » ou « Chant de Shimcheong ». Rappelons que ce numéro de pansori finit par un heureux dénouement, par les retrouvailles du père et de la fille. Un happy-ending d’autant plus émouvant qu’il a été précédé d’un passage particulièrement chagrinant. 

 Dans un autre chant d’automne, en quelque sorte, un objet jouant le rôle de déclencheur est cette fois une plante : les chrysanthèmes. « J’avais planté, disent les paroles, des chrysanthèmes en-dessous de ma fenêtre, et déposé, au-dessous, des pots contenant du vin à faire mûrir. » Voici ce qui suit :


Dès que mes chrysanthèmes fleurissent

 Le vin, imbibé de leur odeur, se trouve prêt à consommer

 Dès qu’il devient buvable

 Un ami me rend visite

 Et dès qu’il arrive, la lune se lève


Alors que le chant, intitulé « Hymne à l’ivresse », commence par l’évocation d’un heureux concours de circonstances, la suite de ses paroles, reproduisant la conversation des deux amis autour du pichet de vin, n’accumule que des lamentations. Est-ce parce que les deux personnes, qui ne cessent de trinquer, sont sous l’effet automnal ou qu’elles sont sous l’emprise d’alcool ? « Un chant d’automne par excellence », jugerait Baudelaire qui avait recours à l’ivresse face à l’angoisse de la mort, dont chaque automne lui donnait un avant-goût.


Liste des mélodies de cette semaine

1. « La fenêtre garnie de soie bleue » par Yi Dong-kyu. 

2. « Chant de Shimcheong » par Sung Chang-sun.

3. « Hymne à l’ivresse » par Kim Soo-yeon.

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