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Trois poèmes chantés

Qu’est-ce que l’amour ? A cette question qui fut notamment le sujet de débat dans Le Banquet de Platon, voici une réponse assez originale suggérée par une ode de l’époque de Joseon : aimer une personne, c’est avoir envie de partager tout avec elle. En particulier, à chaque fois qu’il lui arrive d’apprécier le plaisir d’une chose, une personne tombée amoureuse veut que cela arrive aussi à son ou sa bien-aimé(e). Alors que c’est bien de cette façon que le premier et le deuxième vers de notre ode peuvent être interprétés, par sa troisième et dernière ligne, ce poème chanté est aussi assez platonicien : 


Que cette douce lumière d’automne baigne aussi mon amour

Qu’il savoure lui aussi ce persil chinois succulent

Mais peut-être que rien ne lui manque, alors qu’il me manque


L’amour est désir. Or, le désir est manque, d’autant qu’on ne désire que ce qu’on n’a pas ou ce qu’on n’est pas. L’amour est donc manque. Ce syllogisme, qui est attribué à Socrate dans Le Banquet, peut s’appliquer au décryptage de la psychologie de l’auteur anonyme du poème que nous avons cité. Il regrette effectivement la personne aimée d’autant plus fortement que l’envie de partager un plaisir avec elle le rend particulièrement sensible à son absence, à savoir que cette envie renforce le sentiment de manque. Mais cette personne qui lui manque apprécierait-elle autant que lui cette lumière automnale, cette saveur d’une plante comestible assez banale, voire les petits plaisirs de la vie ? Une interrogation impliquée dans : « Mais peut-être que rien ne lui manque ». Autrement dit, alors qu’à une moindre chose qu’il apprécie dans son quotidien, l’auteur du poème pense à la personne qu’il aime, il se demande si c’est aussi bien le cas de son ou sa bien-aimé(e). L’ode que nous avons citée est en réalité une forme poétique d’une interrogation qui préoccupe tous les amoureux : « Est-ce que je manque à mon amour autant qu’il me manque ? » ou « Est-ce qu’il m’aime autant que je l’aime ? »


Voici cette fois deux odes romantiques également de l’époque de Joseon, dont l’une est la réponse à l’autre.


Il arriva à un lettré dénommé Im Je de se trouver en compagnie d’une belle kisaeng, une geisha coréenne si l’on veut. C’était une grande beauté, mais glaciale, c’est-à-dire celle qui, à la fois, vous excite et vous intimide, telle la déesse Athéna dans la mythologie grecque. D’où son sobriquet Hanwoo, « Pluie froide », l’eau qui vous caresse, mais privée de chaleur.


Notre homme de lettres passe un moment très agréable en compagnie de cette belle femme qui remplit son verre d’une manière délicieuse, sait dialoguer avec élégance et finesse, et joue du gayageum admirablement. Il n’ose cependant point lui demander une faveur au-delà et finit par exprimer sa frustration par une ode :   


Comme le ciel était clair, je suis sorti sans rien contre la pluie

Mais voilà une giboulée qui recouvre monts et champs

Trempé de Pluie froide, je m’endormirai gelé


Hanwoo ou Pluie froide comprend tout de suite à quoi fait allusion le poème de son client. Voici sa réponse également par une ode :


Mais pourquoi s’endormir gelé

Délaisser le traversin brodé au couple de canards mandarins

Pluie froide vous ayant surpris devra bien vous dégeler


Quelle surprise agréable et quel bonheur pour son client ! Par ailleurs, vu son sobriquet, Hanwoo n’est pas du tout une femme qui se jette dans les bras du premier venu. C’est probablement grâce à son talent littéraire, grâce à son ode, que notre homme de lettres a pu conquérir son cœur. Autant dire que Pluie froide était bel et bien une « haeeohwa », « fleur qui comprend les paroles », un terme désignant les vraies kisaeng.


Comme nous l’avons vu dans un dialogue poétique entre un lettré et une kisaeng aussi cultivée que lui, c’est le jeu de mots qui rend certaines odes de Joseon admirables. Et l’ingéniosité en la matière se fait remarquer parfois, non seulement au niveau sémantique, mais aussi à celui de l’effet phonétique. C’est le cas d’un poème de ce genre attribué à Kim In-hu, un intellectuel de Joseon, dans lequel une locution assez rythmique revient comme une rime : « jeollo jeollo ». « Jeollo » est la forme contractée de l’adverbe « jeojeollo », « de soi-même ». De façon à le répéter, l’auteur a donné une musicalité à ses vers. Dans le respect de son intention, on peut traduire le poème en gardant le mot coréen qui veut dire « de soi-même » :


Les montagnes sont telles quelles jeollo jeollo

Les rivières sont telles quelles jeollo jeollo

Entre monts et rivières, mon corps vieillit jeollo jeollo


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Cette douce lumière d’automne... », interprété par Sooljigi.
  2. « Gagaek » chanté par Geurim.
  3. « Les montagnes... » chanté par Ha Yun-ju.

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