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En défi de leur handicap

« J’ai eu beau chercher des livres en braille en la matière », se souvient Yi Hyun-ah, une chanteuse de pansori non-voyante. Le chant, elle pouvait l’apprendre sans avoir besoin de lire une partition, et ce d’autant plus qu’en gukak, non seulement la composition vocale, mais aussi la musique instrumentale, sonate aussi bien que cantate, sont enseignées traditionnellement de façon qu’un élève répète après avoir écouté le jeu de son maître. La jeune femme handicapée, chanteuse en devenir, ne se contentait cependant pas de cette forme de leçon traditionnelle ; elle avait envie de suivre une formation au sein d’une école de gukak dispensant, outre des cours de pratique, ceux de théorie. Or, ce qui était normal, aucun établissement en la matière n’admettait de candidats incapables de passer une sorte d’examen de solfège. Un conservatoire ou un département de gukak au sein d’une université était donc inaccessible pour un non-voyant.


 Devant cette porte fermée aux gens du même sort qu’elle, Yi Hyun-ah pouvait ressentir le « han » ; ce mot coréen désignant un mélange de différents sentiments : amertume, rancune, irritation... A propos de ce mot, souvenons-nous d’une réplique d’un personnage du célèbre film d’Im Kwon-taek, « La Chanteuse de pansori » : « Le chant se perfectionne grâce au han », dit le maître à son élève qui n’est autre que sa fille. Il va finir par la rendre aveugle. Pour la doter d’une performance artistique sans égal selon lui, mais plus probablement, aux yeux de plus d’un spectateur, pour l’empêcher de s’éloigner de son père ne pouvant compter que sur elle pour ses vieux jours qui s’approchent à grand pas.


Le « han » l’a-t-il aidée ? Ayant décroché le deuxième prix au concours de gukak organisé en 2010 par le journal « Dong-ah », Yi Hyun-ah se voit décerner, trois ans plus tard, le grand prix du concours national Onnara, la plus grande compétition de gukak qui n’est bien sûr pas réservée aux artistes handicapés. Du coup, un département de gukak au sein d’une université est prêt à l’admettre parmi ses élèves.


Yi Hee-wan, un chanteur de pansori, non-voyant lui aussi, était plus chanceux qu’Yi Hyun-ah, du fait qu’il n’avait pas tellement besoin de fréquenter une école pour mieux maîtriser son art. Sa famille, celle de musiciens de gukak depuis des générations, en représentait une pour lui.


 Il était chanceux, mais pas si heureux sans doute, d’autant qu’enfant, puis adolescent, il ne pouvait pas jouir pleinement de ce que le monde lui offrait. Devenu adulte, il ressentait sans doute une amertume de ne pouvoir s’intégrer à part entière dans le monde. Face à son incapacité à pouvoir jouir de la vie autant que les autres, un homme, handicapé ou non, peut chercher à se débarrasser de cette prise de conscience douloureuse de façon à tourner en dérision les petits bonheurs auxquels autrui semble être attaché, et ce même quand c’est lui qui leur en offre un. On dirait que c’est ce à quoi fait référence le comportement assez particulier du chanteur Yi Hee-wan sur scène, ainsi que sa façon de chanter, assez originale elle aussi.


Voici par exemple un enregistrement de son concert, un petit spectacle devant un public restreint, que l’on peut trouver sur Internet. L’artiste apparu sur scène semble ne pas avoir tellement de respect pour son auditoire, ne pas tirer non plus une fierté de ce qu’il a préparé pour lui. « Vous voulez donc que je chante une chanson », s’adresse-t-il au public avec un sourire presque dédaigneux. Puis, il dit : « Laquelle par exemple ? Tenez en voici une. » Sur ce, il entame un chant folklorique, de façon à exprimer un détachement à l’égard de ses paroles joyeuses ou à laisser entendre sa joie dans le détachement.


Pour parler d’un autre chanteur de pansori en situation de handicap, Choi Jun est un adulte ayant une déficience développementale. Son handicap mental a été révélé quand il avait 2 ans. Une révélation choquante et meurtrissante pour ses parents. En prenant soin de leur pauvre enfant, ils s’aperçoivent, avec bonheur, qu’il a l’oreille musicale. Ils lui apprennent alors à jouer du piano, non pas en souhaitant qu’il devienne un pianiste, mais en espérant que l’apprentissage musical apporte une aide à son développement intellectuel.


 Quand il arrive à un parent coréen de voir son enfant fredonner une chanson en jouant du piano, il ne fait sans doute que le regarder un moment avec un sourire et s’en aller, content du bonheur de son progéniture. Mais si cet enfant chantait une mélodie qui n’est pas de sa génération, ni de celle de ses parents ? Au piano, le petit Choi entonnait effectivement un vieux chant folklorique. Où l’aurait-il entendu pour garder sa mélodie dans sa mémoire ? Plutôt que par l’envie de l’interroger sur ce sujet, ses parents sont saisis par un sentiment que leur enfant vit dans un monde mystérieux. Et ils conçoivent un projet pour que son originalité soit appréciée par un plus grand nombre de personnes. Ils font en sorte que le petit garçon apprenne à chanter le pansori.


 « Chanteur de pansori au piano », ainsi est surnommé Choi Jun. Ce trentenaire vit mentalement dans le monde des enfants de 7 à 8 ans. Comprend-t-il suffisamment le récit chanté qu’il interprète devant un public ? L’amour qui a uni les deux jeunes gens dans « Le Chant de Chunhyang » par exemple ou encore la jalousie du méchant Nolbo devant son petit frère qui s’est retrouvé fortuné dans « Le Chant de Heungbo » ? A sa manière sans doute, c’est-à-dire de la façon qu’un enfant interprète ces vieilles légendes populaires.


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Gwansanyungma » chanté par Yi Hung-ah.
  2. « La Mélodie chantée » par Yi Hee-wan.
  3. « Le Chant de Heungbo » chanté par Choi Jun.

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