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Sur la route

Un voyageur a une destination et un itinéraire. Cela ne l’empêche pas de faire un petit détour, histoire de profiter de son déplacement pour satisfaire sa curiosité. Ainsi, un certain Jung Cheol, un mandarin du 16e siècle, plus connu de la postérité pour ses talents de poète, a encouru le risque d’être accusé de ne pas avoir respecté la déontologie dans la fonction publique. Nommé préfet de la région de Gangwon et ayant quitté Séoul à destination de Gangneung, la capitale de cette province, il ne s’y est pas rendu directement. L’âme du poète l’a-t-elle emporté sur la peur d’une sanction ? Le mandataire du roi s’est écarté du chemin menant au siège de la préfecture pour faire un petit parcours touristique, et notamment pour voir ce dont il rêvait sans doute depuis longtemps : la mer de l’Est.


A l’époque où la plupart des gens ne pouvaient compter que sur leurs deux jambes, même pour faire un grand voyage, plus d’un Séoulite comme Jung Cheol ne pouvait que rêver de voir ce grand bleu lointain, « une vraie mer », disait-on, par rapport à laquelle la mer Jaune, un bras de mer non loin de Séoul, n’était presque rien. La mer de l’Est aurait été d’autant plus attractive pour eux qu’elle était habitée par des baleines dont le terme en coréen, « gorae », servait de métaphore pour évoquer une énormité ou une grandeur. Dans son poème inspiré justement du spectacle offert par la mer de l’Est, Jung Cheol s’interroge effectivement : « Qui a provoqué ces baleines déjà en colère ? » Il parle en réalité des vagues énormes qui l’ont amené à imaginer le mammifère marin qu’il n’a peut-être jamais vu.


Visiter la côte est pour voir une vraie mer, c’était probablement un rêve commun de tous les Coréens contemporains de Jung Cheol et habitant de l’autre côté de la péninsule. Témoin un vieux chant folklorique originaire de Jeolla, une région située au sud-ouest du pays, et portant comme titre le nom de cette mer de rêve. 


Quant à ce voyageur dans un numéro de pansori, le « Chant de Shimchung », il risque de ne jamais parvenir à sa destination : la cité impériale où se déroulera une grande fête en faveur des non-voyants. Un aveugle pour être convié à ces festivités, il vient de perdre sa précieuse guide, une veuve de son village qui avait accepté de l’accompagner en espérant être admise parmi les convives en récompense de son service rendu à l’un d’eux et partager ainsi le repas de fête. Le voyage en compagnie d’un handicapé était-il si fatiguant pour que cette gourmande renonce finalement au bon repas en abandonnant le pauvre homme sur la route ? Eh bien, non. Sur la route menant à la cité impériale, elle a rencontré un autre non-voyant qui, lui, voyageait seul, « un homme ayant un gros nez », précise le récit chanté, et a préféré de lui servir de guide. Pour changer de compagnon de route, elle se fiait sans doute à une croyance populaire selon laquelle la taille du nez d’un homme serait liée à celle de son pénis.


Quant à notre pauvre homme trahi, il chemine tant bien que mal vers sa destination. Parviendra-t-il à y arriver pour apprendre que l’organisatrice de la fête de la charité n’était autre que sa fille qui lui avait été arrachée ? Le public est d’autant plus impatient de connaître le dénouement que ce voyageur solitaire a fait escale près d’un ruisseau et que pendant qu’il s’y baignait, on a volé tous ses vêtements.


Encore un voyageur, cette fois sur la route maritime, et à destination de l’île de Jeju. On a affaire à un certain Yun Seon-do, détenteur d’un record en quelque sorte. Ancien mandarin, il a été condamné pas moins de trois fois à l’exil, toutes les fois calomnié par ses adversaires politiques. Il a ainsi vécu au total 16 ans sur différents lieux d’exil. Il devait en avoir assez. En effet, sans nulle ambition de battre son propre record, il a décidé de faire en sorte qu’on ne puisse plus lui infliger la même peine : s’exiler du monde.


Voilà pourquoi on le retrouve, avec sa famille, cheminant vers Jeju, le lieu le plus lointain de la capitale, théâtre des soubresauts qui ne laisse jamais une personne tranquille. La mer est calme. A bord du bateau, le cœur rempli de contentement, celui qui s’est condamné lui-même à l’exil imagine une vie de pêcheur qu’il va mener et fredonne une chanson dont les paroles lui reviennent ; la mélodie étant inspirée du bruit de la mer.


Mais, chacun le sait, tout voyage réserve une surprise, une bonne ou une mauvaise. En effet, l’équipage à destination de Jeju s’inquiète face au ciel qui s’assombrit soudain et annonce un typhon. Il faut absolument et tout de suite trouver un lieu où se réfugier. Heureusement, la silhouette d’une île entre en vue. L’équipage parvient à y débarquer avant que la mer ne devienne houleuse.


Cette petite île, appelée Bogildo, est un lieu encore plus perdu que Jeju, un lieu encore plus idéal donc pour celui qui a choisi de vivre à l’écart du monde. Yun Seon-do décide finalement de s’y installer. En fait, ainsi va la vie. Dès la jeunesse, on se fixe un objectif. Mais rares sont ceux qui y parviennent. Rares aussi sont ceux qui demeurent malheureux de ce que le hasard leur a fait, du changement de cap dans la vie. Quant à Yun Seon-do, il est immortalisé par ses poèmes dont la source d’inspiration n’était autre que la beauté de l’île où il a débarqué en songeant à faire escale. 


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « La mer de l’Est » par Kim Yul-hee. 
  2. Un extrait du « « Chant de Shimchung » par Jang Mun-hee. 
  3. « Quatre saisons du pêcheur » par Kim Na-ri. 

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