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Le « simgeum »

Chacun a dans son cœur un instrument à cordes. Il s’agit d’une sorte de théorie de l’émotion impliquée dans le mot coréen « simgeum », « cœur instrument ». On éprouve une émotion, parce qu’une perception ou une sensation fait vibrer les cordes de cet instrument invisible, mais que chacun porte en soi. Une théorie très poétique et qui évoque, d’une certaine manière, la théorie des cordes selon laquelle toute énergie proviendrait d’une vibration. En fait, une émotion nous anime, à savoir qu’elle nous donne de la vivacité, de la force, voire de l’énergie. On dit en effet : exploser de joie ou de colère.


Selon la « théorie de simgeum » en quelque sorte, on peut dire que pour éprouver une émotion dans un concert, un spectateur joue de son instrument dans le cœur en répondant au jeu de l’instrumentaliste sur scène. Arrive-t-il aussi à un homme de jouer en solo de son « simgeum » ? A ce sujet, il est intéressant de nous rappeler que plus d’un lettré de Joseon, grand amateur de musique comme le veut un précepte confucéen, possédait dans leur bibliothèque un geomungo, un instrument à cordes, même s’ils ne savaient pas en jouer. Comme un accessoire de décoration ? Comment expliquer alors leur loisir, consistant à passer un bon moment le regard fixé sur cet instrument ? En le contemplant, ils devraient prêter l’oreille à la musique intérieure provoquée par le geomungo silencieux sous leur regard, la vibration de leur cœur.


Tiens ! ce geomungo dans la bibliothèque d’un lettré sonne tout seul. En réalité, une brise à travers la fenêtre ouverte vient de caresser ses cordes en soie pour produire un son d’autant plus délicat qu’il est presque imperceptible. Le propriétaire de l’instrument a l’air ému, car il correspond exactement à ce qui se produit dans son cœur. C’est ça la musique admirée par des lettrés confucéens, celle qu’ils appelaient « jeogak », « musique juste » ou « musique orthodoxe ».


Et les gens du peuple de Joseon ? Quel genre de musique faisait vibrer les cordes de leur « simgeum » ? Une sonate pour ajaeng par exemple.


Musique plaintive semblant exprimer une rancune, puis un sentiment d’impuissance, puis le renoncement au désir de vengeance, cette sonate pour ajaeng, un instrument à cordes frottées, pouvait offenser la sensibilité d’un lettré de Joseon appartenant à l’aristocratie du pays, au « yangban », noblesse d’épée et de robe. Elle n’est pas au goût des amateurs de « jeongak », une musique leur permettant de se recueillir. Elle pouvait même provoquer le mépris, non seulement parce que c’était une mélodie à l’opposé de leur sensibilité, mais aussi parce qu’elle pouvait être considérée comme portant plainte contre la classe dirigeante du pays, peu ou nullement préoccupée par ce qu’on appelle aujourd’hui l’injustice sociale. Et c’est justement pour cette raison sans doute que ce genre de musique faisait vibrer les cordes du « simgeum » chez les gens du peuple.


La sonate pour ajaeng, dont nous venons de parler, est plus précisément du genre « sanjo », « musique improvisée », né à la fin du XIXe siècle. Raison de plus pour qu’elle soit méprisée par les amateurs de « jeongak » ; le « sanjo », improvisation libre, le free jazz avant l’heure, devait être scandaleux pour ceux qui étaient particulièrement attachés à l’ordre, aussi bien en art que dans une société.


Un musicien de gukak improvise sur son instrument. Il joue donc un « sanjo ». Du coup, il devient l’inventeur d’un style, car d’autres musiciens, le plus souvent ses élèves, vont imiter son jeu. Ainsi, pour intituler un « sanjo », on dit par exemple : le sanjo pour gayageum du style Kim Juk-pa ; ce nom étant celui de l’instrumentaliste à l’origine de cette pièce de musique.


« Etre à l’origine » ? En effet, certains imitateurs ne se contentaient pas de reproduire purement et simplement le jeu de leur maître. Ils y apportaient leur propre couleur, leur propre style, pour qu’on ait ainsi affaire à une variante qui, elle, pouvait être imitée par d’autres musiciens, et ce également de façon à la varier selon leur propre inspiration.


L’histoire d’un « sanjo » peut ainsi être comparée, à juste titre, à un arbre généalogique. A noter que s’organise parfois un concert de « sanjo » avec au programme un ensemble de variantes d’une musique imposée de ce genre, sans oublier, bien sûr, sa version originelle. Un régal pour les amoureux du gukak !

Par rapport au « sanjo » marqué par une grande liberté, on peut dire du « jeongak » que c’est une musique « figée ». Les lettrés, qui la privilégiaient, croyaient-ils que le « simgeum » de chacun sonnait toujours de la même façon ? Heureusement pour eux, le geomungo, l’instrument le plus noble à leurs yeux, restait longtemps sans être joué pour un « sanjo ». Une légende dit : quand un musicien a fini par improviser sur cet instrument, ils se sont exclamés : « C’est la fin du monde ! ».


Liste des mélodies de cette semaine

  1. Un sanjo pour ajaeng avec Park Daesung au ajaeng et Park Hwang-young au jangu.
  2. Un sanjo pour gayageum du style Kim Juk-pa avec Kim Il-ryun au gayageum.
  3. Un sanjo pour geomungo du style Shin Koe-dong avec Kim Mu-kil au geomungo.

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