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Le plaisir de manger

Enorme est son bol de riz. De qui parle-t-on ? D’un Coréen sur une photo prise par un Occidental visitant le pays du Matin clair à la fin du XIXe siècle. Son bol est presque aussi large que son visage. Et le riz servi dans ce bol culmine au double de la hauteur du récipient. Oui, les Coréens d’autrefois étaient de gros mangeurs. Et ils s’en vantaient.


Un certain Yi Geuk-don, un diplomate de Joseon, note dans ses mémoires : « Nous, les Coréens, engloutissons, à un seul repas, la quantité de nourriture que les Chinois consommeraient en trois repas. » Histoire de vouloir se débarrasser d’un complexe devant la taille de l’empire du Milieu ? Quant à Yi Ik, un intellectuel compatriote d’Yi Geuk-don, il semble être fier de dire : « En consommation de nourriture, les Coréens sont hors pair sous le ciel. » Puis, il ajoute : « Au sein d’une famille aisée, on ne se met pas moins de sept fois à table par jour. » Manger beaucoup, ce fut, du moins pour lui, un signe extérieur de richesse.


« Je ne suis riche que d’amour pour vous », pouvait prétendre Chunhyang, l’héroïne d’un numéro de pansori éponyme, une œuvre de l’époque de Joseon. Comment exprimer son amour ? Eh bien, en invitant son bien-aimé, Mong-ryong, à goûter un tas de plats qu’elle a soigneusement préparés : une pastèque dont le haut est coupé et dans laquelle est introduit le précieux miel blanc de Gangneung, par exemple. Pour manger sa chair rouge comme les lèvres de sa compagne, il faut à Mong-ryong une cuillère. Il n’en a cependant nullement besoin. Chunghyang s’occupe de tout pour son amour. Celui-ci n’a qu’à ouvrir sa bouche.


Cette formule de salutation des Coréens peut surprendre par son originalité. « Tu as mangé ? » - « Bap Meokeosseo ? » demandent-ils quand ils rencontrent un ami, et ce même si l’heure du repas est loin derrière eux. En se quittant, ils se disent : « On mange ensemble un de ces jours. » Egalement une pure formule de salutation. Elle semble tenir d’une vertu autant appréciée par les Coréens d’autrefois que par les Grecs du temps d’Ulysse : l’hospitalité. En fait, en hébergeant gratuitement un étranger, un passant, on l’invite aussi à sa table. Et cela même pour une personne indésirable ? Oui, à l’instar e cette scène tirée d’un autre numéro de pansori, le « Chant de Heungbu ».


Nolbu, le frère aîné de Heungbu, va bientôt venir rendre visite à son cadet. La maîtresse de maison fait la moue. Elle se serait dit : « L’homme qui nous a chassés de la maison paternelle, et ce en plein hiver, cet homme dont la femme a osé frapper avec une spatule à riz la joue de mon mari venu chercher à manger dans la cuisine, dois-je l’accueillir comme il se doit ? Il vient sans doute nous dire bonjour, parce que nous sommes maintenant riches. » Tradition oblige : la femme de Heungbu se met toutefois aux fourneaux


Elle prépare d’abord une grande variété de plats à base de légume, bons pour la santé, sans être particulièrement soucieuse, bien sûr, de celle de son méchant beau-frère. « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui l’autre joue. » Cette célèbre phrase était encore inconnue des Coréens de l’époque.


La femme de Heungbu prépare ensuite la viande de façon à l’assaisonner différemment et à la faire cuire aux températures adéquates selon les morceaux. La scène chantée finit par une onomatopée imitant le crépitement de la viande sur le grill. A l’oreille de ceux qui imaginent l’état d’esprit de la femme de Heungbu, cela pourrait s’entendre comme « pouah ».


Insolite est l’image de cet homme qui s’offre, à lui seul, un festin. C’est un mondain d’après les paroles d’une chanson coréenne traditionnelle. Sur une grande table, sont amoncelés différents plats aiguisant l’appétit. L’alcool n’y manque pas non plus. Mais oui, il le faut pour un homme qui mange seul. Le texte nous fait partager son soliloque.


 Un verre, encore un verre

 Tiens ! Qui a vidé ma coupe

Li Bai est-il passé


L’homme est tellement saoul qu’il ne se souvient pas que c’est bien sûr lui qui a vidé la coupe, puisqu’il est tout seul. Invoquer Li Bai, un grand poète chinois des Tang, réputé aussi pour son immodération en consommation d’alcool, cela traduit-il la solitude cachée de notre homme ?


Liste des mélodies de cette semaine

1. « Le Chant d’amour » chanté par Yi Bong-geun.

2. Un extrait du « Chant de Heungbu » chanté par Kim Su-yeon.

3. « Remplis mon verre » chanté par Audio Banana.

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