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Le gasa

« Pff ! Ce n’est pas de la poésie. » Plus d’un Coréen cultivé de la dynastie Joseon aurait été méprisant à l’égard d’une nouvelle forme poétique apparue dans leur pays au XVIe siècle : le « gasa », poème en prose ou vers libre. Sous une forte influence culturelle de l’empire du Milieu, ils admiraient en particulier le « hansi », la poésie en écriture chinoise obéissant à une versification.


Ils pouvaient aussi mépriser le « gasa » à cause de son sujet souvent trivial. En voici un dans lequel l’auteur anonyme se souvient d’un après-midi où il a succombé à la fatigue printanière. Un thème effectivement vulgaire. Reste à savoir s’il a été exploité de façon extraordinaire, étonnante, voire poétique.


L’auteur du poème réveillé de sa sieste tard dans l’après-midi lève à moitié les stores en bambou. Pourquoi seulement « à moitié » ? Probablement par crainte de s’exposer entièrement au monde extérieur ayant complètement changé pendant son sommeil, à savoir plongé dans l’obscurité, de se sentir ainsi soudainement comme transporté dans un autre univers. Heureusement, la lueur du jour baigne encore son jardin. Les fleurs lui semblent chercher à séduire les derniers papillons avant la tombée de la nuit. Un parfum léger et frais enfle ses narines. Tout cela, n’est-il pas poétique ?


Comme les autres « gasa », dont le terme signifie littéralement « texte du chant », le poème, qui ne pouvait s’intituler autrement que « La Sieste au printemps », nous est parvenu via la musique vocale.


Quoiqu’il n’obéisse pas à une versification, le « gasa » est assez rythmé. Les auteurs des poèmes de ce genre étaient probablement sensibles à une musicalité inhérente à leur langue maternelle, impossible à mettre en valeur dans un texte écrit en caractères chinois, les idéogrammes, dans un « hansi » par exemple. En fait, l’apparition du « gasa » au XVIe siècle n’était certainement pas sans rapport avec l’invention de l’alphabet coréen, le « hangeul », au siècle précédent. Ces phonogrammes permettaient de transcrire le coréen parlé et du coup d’inscrire sa musicalité.


Cela dit, il ne s’agit pas de penser que les poètes de « gasa » étaient hostiles au « hansi ». Loin de là. Ils s’en inspiraient parfois. C’est le cas de « Jukjisa », « hymne au bambou », dont le début est un emprunt à un poème en caractères chinois :


Le ciel et la terre ne vieillissent pas

Ainsi que la lune qui renaît de son déclin


La suite n’est bien sûr pas un plagiat. Alors que le poète inspirateur s’attriste de la condition humaine, la finitude, l’auteur anonyme de ce « gasa » invite à s’en consoler en admirant la beauté de la nature.


Rappelons que le « hangeul » inventé vers le milieu du XVe siècle a dû attendre plusieurs siècles pour être adopté comme écriture officielle. En effet, la grande majorité de la classe dirigeante de Joseon s’opposait farouchement et durablement à l’usage de cet alphabet très pratique et facile à apprendre, et uniquement pour cette raison. Les nobles étaient conscients que l’écriture était un pouvoir. Il ne s’agissait pas pour eux de le partager avec les gens du peuple si tout le monde sait lire et écrire, et que les informations sont à la portée de tous, chacun pourrait alors exprimer son opinion par écrit. C’est la raison pour laquelle ils défendaient l’usage des caractères chinois, une écriture compliquée et difficile à apprendre.


Ces nobles, pratiquement les seuls à maîtriser les sinogrammes, déprisaient naturellement le « hangeul », en le désignant notamment en termes péjoratifs, « amgeul » par exemple, « écriture pour femmes », ce qui témoignait d’une forme de sexisme. Comme pour leur donner raison, les femmes, de toute classe sociale confondue, étaient celles qui appréciaient particulièrement le « gasa ». Un thème souvent abordé dans ce genre de poème en était peut-être une raison : l’amour. Un sujet vulgaire pour certains, et pourtant sujet éternel de la littérature.


Liste des mélodies de cette semaine

1. « La Sieste au printemps », bande originale du film de « Untold Scandal ».

2. « Jukjisa » interprété par Park Jin-hee.

3. « Sangsabyeolgok » chanté par Modern Gagok.

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