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Cinéma & dramas

Lee Chang-dong réalisateur au long cours

2018-06-13

Séoul au jour le jour


L'équivalent sud-coréen de notre André Malraux aurait pu être, en mieux, Lee Chang-dong. Ecrivain engagé, scénariste puis professeur, réalisateur, producteur et ministre, Lee, malgré sa notoriété n'est pourtant ni quelqu'un de prolifique (quatre romans en 30 ans, six films en 21 ans) ni le cinéaste épris de réalisme qu'il paraît être au premier abord.


* « Proletcult » façon sud-coréenne

Ses livres avaient donné le ton en évoquant les misères de son pays plus ou moins directement. Il dira lui-même avoir vu les limites de ce qu'il pouvait faire en la matière ; ajoutons que c'était aussi celles du succès pour les écrivains sud-coréens modernes dépassé par les stars des médias. Son compère, l'excellent Park Kwang-soo « prend » deux de ses scénarios : « Vers le ciel étoilé » et « Chun Tae-il » (alias « A Single Spark ». Le premier n'est rien moins que l'histoire de la guerre de Corée vue par des gens simples qui trouvent la division absurde, tout comme les grands discours politiques. Le second, est un hommage à un leader syndicaliste qui a fini immolé par le feu. Nous sommes totalement dans l'optique de la « Proletcult » soviétique d'Alexander Bogdanov. En Corée du Sud, ce genre littéraire et culturel se nomme « Nodong Soseol ». Il s'agit, pour des intellectuels, souvent enseignants de la moyenne bourgeoisie, de partir du point de vue des prolétaires et d'affirmer et de développer leur culture (celle des prolétaires). Si l'expérience a tourné court en URSS avec la prise de pouvoir par le parti bolchevik, son avatar tardif sud-coréen s'en alla cahin caha à la fois vers la critique de la vie quotidienne en système capitaliste et la promotion d'une certaine vision politique locale et internationale.


* Critique de la vie quotidienne et vision politique

Ce n'est pas un hasard si Lee Chang-dong est devenu (pour un an) ministre de la Culture du gouvernement réformiste de Roh Moo-hyun. Si avec Park Kwang-su, il développait une vision au niveau du peuple, avec son « Peppermint Candy », il affiche une ambition nationale en révisant l'histoire du pays. A la manière de « Lacombe Lucien » de Louis Malle, le blaireau du film qui n'a jamais eu le contrôle de sa vie et toujours couru après les carottes qu'on lui tendait (l'armée, la police, la famille, la carrière, etc) finit par disculper - dans une démonstration froide mais nourrie de détails scabreux (le prisonnier torturé qui se chie dessus, par exemple) – toute une génération de suivistes de l'époque des dictatures. En bref, comprenez que ces hommes là peuvent, désormais, accéder au pouvoir. Moins dans la parabole politique, son film suivant « Oasis », accentuera les scènes réalistes filmées en longs plans dans des ambiances lugubres. Un style dans lequel Lee excelle, mais il y ajoute un poil de fantaisie (la tétraplégique qui se met à danser en rêvant d'éléphants mythologiques, par exemple) : Lee est en train de franchir le pas du néo-réalisme et du politique vers le postmodernisme, surtout son commerce de l'absurde et du ludique mélange des genres devenu de simples images mais pas des images simples.


* L'entre-deux de « Secret Sunshine » à « Poetry »

Le passage au ministère, sa lutte vaine pour le maintien de quotas nationaux de films mis en place par les dictatures militaires, ont probablement chamboulé l'idéaliste puis le flegmatique Lee. C'est ce que dit « Secret Sunshine » (2008), son retour au quotidien (sans éléphant métaphysique) et à un réel qui lui est plus familier et sincère, celui de la petite bourgeoisie. Jeon Do-yeon (une mère veuve nouvelle venue dans une petite ville) reste aveugle au prolo (joué par l'énorme Song Kang-ho). Certes, il y a de la critique idéologique : les chrétiens en prennent pour leur grade, le culte de l'argent et du succès, l'embourgeoisement, aussi. Mais Lee exploite surtout son sens du plan réaliste jusqu'à l'os. La caméra, souvent en mouvement, ne lâche rien des arrière-plans, ni des moments sans qualité de la vie petite-bourgeoise. Il fait écho à l'existentialisme camusien avec sa veuve qui s'en prend au soleil et ne peut pleurer aux funérailles de son fils assassiné pour de morbides histoires d'argent. C'est la folie qui guette. Mais elle reste encore fondée socialement. Avec « Poetry », Lee décorera ce thème en suivant les délires peu réalistes d'une vieille dame autour de la poésie et du suicide d'une jeune fille. Cette maîtrise du style réaliste en contrepoint d'un au-delà du réel social (réel qu'on ne veut surtout pas solutionner), ce jeu sur les délires et les fantasmes, et en même temps ces appels à « l'ancien temps » : la poésie, l'éléphant bouddhiste, et tout récemment dans « Burning » l'idéal de Beauté et de Nature, etc, ont probablement séduit les sélectionneurs patentés de festivals qui lui ont décerné une ribambelle de prix ; à sa grande surprise, dit-il.


* Vers le postmodernisme

Le long silence de Lee après les errances de « Poetry » n'est pas seulement dû à ses activités de professeur à l'université nationale des arts ni à ses activités de producteur – précisons que son frère, Lee Jun-dong est connu comme producteur « indépendant » - ni même à la « black list » du précédent gouvernement conservateur. Le récent « Burning » suggère que c'est le résultat d'un transfert d'une vision politicienne nationale qui avait déjà débordé le « Proletcult » des débuts vers des métaphores postmodernes qui mélangent rêve d’harmonie naturaliste (voir la poésie dans « Poetry », la bodhisattva ou la femme sacrée de « Burning »), la cruauté mentale donnée comme innée (voir les meurtres dans « Poetry » et « Burning »), et la masturbation intellectuelle (voir plusieurs scènes dans « Burning »). Ce dernier thème pourrait être le manifeste politique actuel du réalisateur. L'avenir nous le dira sûrement.

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