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Cinéma & dramas

Birthday pour un naufrage

2019-05-01

Séoul au jour le jour


Le 16 avril 2014 sombrait le ferry Sewol. « Birthday » de Lee Jong-un, produit par Lee Chang-dong, est le deuxième film en moins de deux mois à aborder la tragédie à travers une fiction. Mais les deux films ne jouent pas la même carte. « Birthday » est en passe de devenir une sorte de film officiel sur l'après-naufrage, une sorte de deuil étonnamment supporté par deux super-stars sud-coréennes : Sol Kyung-gu et Jeon Do-yeon.


*Les faits : survivent ceux qui désobéissent

Toute la lumière n'est pas encore faite sur le naufrage du ferry Sewol, en 2014, qui entraîna la mort, presque en direct dans les médias, de plusieurs centaines d'adolescents : 304 morts, 172 survivants. Sur la rage des parents endeuillés s'est greffée la contestation populaire qui a fait tomber le régime de Park Geun-hye en 2017 après moult tribulations, dont la critique par les médias de l'attitude jugée exagérée des parents qui avaient planté leur tentes devant le palais impérial de Gwanghwamun. Après la chute de la présidente et de son gouvernement, l'enquête, appuyée par de multiples documentaires indépendants, a révélé d'interminables suite de malfonctionnement, d’erreurs en corruption, tout un système, toute une société aliéné à ses pouvoirs qui s'est trouvée impuissante à regarder couler dans des eaux bien noires le ferry avec ses joyeux lycéens en voyage scolaire sacrifiés pour avoir obéi aux ordres.


* De la rage au deuil impossible

Au mois de mars, le film « Jo Pil-ho : The Dawning Rage » de Lee Jeong-beom a failli passer inaperçu. Il était pourtant la première fiction sur le sujet. Il raconte la corruption qui a entraîné tous les dysfonctionnements. Une réplique restera celle où un personnage hurle devant l'incompétence des responsables du sauvetage catastrophique : « Bâtards ! Vous vous prétendez adultes ? ». Les enfants avaient reçu l'ordre de rester au fond du ferry alors que beaucoup d'adultes avaient sauté par-dessus bord. Malgré tout, le naufrage reste en arrière-plan. Les familles ont quand même soutenu le film. Pour « Birthday », il s'agit du deuil de deux parents d'un ado décédé dans le Sewol. Pour eux, rien n'est plus pareil. S'il semble vouloir apaiser les familles et la population, le film stigmatise aussi le traumatisme comme quelque chose d'indélébile qu'il ne faudra jamais oublier, un peu comme le film « Nuit et brouillard » de Resnais ou « Shoah » de Lanzmann marque l'histoire de l’humanité du crime indélébile des camps de concentration, crime dont tous le monde est coupable, politiciens et fonctionnaires corrompus, mais aussi parents et tous les quidams devant leurs écrans de télévision ou de téléphone portable.


*Une histoire de couple

Avec Lee Chang-dong à la production – notons qu'il avait déjà produit « A Girl at My door » mais sans la réussite escomptée – on ne s'étonne pas du point de vue terre-à-terre, lent et réaliste du film. La présence des deux super stars détone d'autant, budget oblige. Si les Rossellini et Visconti faisaient aussi dans ce style, ils utilisaient souvent des non professionnels ou des semi-professionnels. Bref, les stars Sol et Jeon n'arrivent plus à communiquer après la disparition de leur fils aîné. L'un culpabilise sur son absence en tant que père. L'autre fétichise tout ce qui reste de trace de la présence de son enfant. Ils avaient rêvé qu'ils protégeraient leurs enfants, mais le drame leur a révélé qu'ils ne s'en étaient pas donné les moyens, ou que la société ne leur en avait pas octroyé le droit. S'accuser l'un l'autre leur est une réponse facile mais insatisfaisante. Cette insatisfaction se joint au processus du deuil. En effet, on retrouve là l'idée de Jacques Derrida, que le cinéma est un résurrecteur de fantômes ; le deuil de ce qui s'échappe si vite et tourne autour de nous comme des images dont la réalité devient peu à peu translucide. L'image adsorbe ce qu'elle représente, le résume, et finit par combler la mémoire des vivants, en la limitant. Le film rappelle les fantômes et en même temps les retient dans son monde d'images.


Cette fois, les deux frères producteurs, Lee Chang-dong et Lee Jung-dong, semblent sur la bonne voie pour enfin, après les échecs au box-office de « A Girl at My Door » et de « Burning », rentrer dans leurs sous sans avoir à faire un film commercial. Ils font donc dans le film civique. Parmi les réalisateurs devenus producteurs, seul Bong Joon-ho avait connu un net – bien que difficile – succès avec « Sea Fog », un film autour de la mer aussi mais avec une histoire de travailleurs immigrés.

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