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Cinéma & dramas

Hotel by the River : les déguisements de la métaphysique

2019-07-24

Séoul au jour le jour


Il est vrai que manquer un film de Hong ne coûte rien, vu qu'il en réalise deux par an et qu'ils ont l'air bien semblables les uns aux autres. Cela dit, une inflexion semble se faire jour, non pas dans le sens d'une nouvelle direction d'inspiration mais d'un dévoilement de ce qui était déjà là dans ses films précédents, notamment, ce que le stochatisme (en référence à la variable aléatoire dans les équations différentielles) et le parallélisme des histoires de Hong suggéraient. L'âge (il est désormais un vétéran du cinéma local) et sa position médiatique délicate de mari s'affichant avec sa jeune maîtresse ont probablement joué dans ce « nouveau discours » de Hong, plus direct et sincère.


*Badinage en mode pré-retraite

Alors c'est quoi cet « Hotel by the River » ou « Hôtel au bord du fleuve » ? C'est du noir et blanc et cela semble durer moins de 24 heures diégétiques. Le poète Ko invite ses deux fils à passer du temps avec lui. Le vieil homme a l'intuition qu'il va bientôt mourir. Evidement, c'est une intuition et il ne sait pas comment leur expliquer. Quoiqu'il en soit, le moment est venu de leur dire la vérité sur les femmes et sur les prénoms dont ils ont hérité. Mais les trois hommes ne sont pas seuls dans l'hôtel ; Sang-hee jouée par Kim Min-hee est là et se remet d'une rupture amoureuse qui, apparemment, lui a causé une brûlure à la main. Oui : commencez à cherchez les symboles avant de repasser par la case départ. Une autre femme vient la réconforter. Et voilà que les hommes et les femmes se croisent (Ô miracle), se parlent un peu (double miracle), et le jeu de devinettes commence, entre symboles faciles, suggestions alambiquées et fausses pistes, le tout orchestré par le regard ricaneur du réalisateur, un ricanement lié à l'idée de vacuité, celle de la vie qu'il représente et celle de l'ambition de tout film, notamment les siens.


* Révélation métaphysique et Kim Min-hee

Le vecteur de la révélation est probablement ce que la muse et maîtresse de Hong Sang-soo, Kim Min-hee, incarne de films en films depuis la collaboration avec son amant. Effectivement la métaphysique a toujours été latente dans ce que les films de Hong communiquaient : avec Kim Min-hee, la bodhisattva hongienne, elle apparaît à la surface de l'écran. On se souvient de cette scène clef révélant cette orientation dans « On the Beach at Night Alone» où Kim se penche à la fenêtre d'un taxi la nuit et s'envole vers l'au-delà au milieu de flocons de neige virevoltants.  


*Parallélisme et tradition littéraire chinoise

Le film met en scène un évident parallélisme entre les deux groupes de personnages. Ce n'est pas un film-choral, mais un système de mise en échos où un troisième volet invisible est invoqué. Cette structure et ses effets rappellent la vieille tradition poétique chinoise et ses célèbres poèmes à la limite du surréalisme. Les choses se font échos mystérieusement. Les hommes parlent, les femmes en pleurent sans avoir entendu ce que les hommes racontaient. Tout est lié de manière invisible. Ce lieu des interactions magiques est, ici, représenté par un hôtel labyrinthique. C'est l'effet d'une théâtralité et d'une radiophonie essentielles dans la mise en scène de Hong, théâtralité qui correspond à une gestion minimaliste des espaces, réduits à des lieux-réceptacles de gestus et de logorrhée. Cette théâtralité, cette gestion ad minima des effets et de leur production, amène l'effet stochastique (aléatoire) des interactions entre les personnages, et contribue à redoubler la dimension métaphysique de ce que communique le film à ses spectateurs-patients (dans le sens double de « souffrants » et « résilients ».


*Le stochatisme et ses mystères

Les films de Hong ont souvent mis en jeu une réalité stochastique où les hasards n'en sont pas vraiment, et semblent obéir à une tectonique étrange mais dont certains récits dont ceux de Hong, attribuent la logique à une entité métaphysique extérieure, et en tout cas, hors de portée des humains. Ces derniers, comme dans « Hotel by the River » sont des marionnettes interchangeables, jouets des dieux qui lancent les dés. D'où les structures répétitives (plusieurs fois les mêmes situations mais avec des conséquences différentes ou des variantes). Il ne s'agit pourtant pas de se jouer de ce mystère mais d'en affliger le monde et surtout les hommes d'un fatalisme de plomb, d'un conservatisme qui nie tout potentiel humain à l'entendement et, forcément, à l’action sur la société. A cela s'ajoute une vision différenciée entre hommes et femmes qui n'est qu'un avatar de cette vision fataliste.


*Nominalisme et gnosticisme

Ko, le poète du film, apporte des précisions à la métaphysique des mœurs de Hong Sang-soo. Il est nominaliste et gnostique. La cogitation sur le symbolisme et la prédestination des noms est courante en Corée du Sud. Ici, il explique à ses fils que leurs prénoms correspond à une vision de l'homme divisé entre l'au-delà et sa vie terrestre (il en garderait cependant la mémoire). Cette vision est para-gnostique, inspirée par la séparation du corps et de l'âme. Le corps étant plutôt vu comme négatif. La variante ici est que le le corps et l'esprit semblent liés mais ayant des aventures dans deux mondes en même temps. On a vu récemment des films fantastiques sud-coréens « Along with the Gods » expliquer de manière comico-fantaisiste cette vision assez courante localement, que Hong traduit à sa manière. Le matérialisme consumériste a fait que la vieille tradition de la réincarnation sous toutes formes (voir le chamanisme traditionnel) est devenu réincarnation en costume-cravate avec service après vente en supermarché. Bref, il n'en reste pas moins que - pour ceux qui on vu les premiers films de Hong - qu'un réalisateur qui s'est fait connaître essentiellement pour ses longues scènes d'un érotisme cru, se référer à la transcendance et à l'illumination divine (voir la scène des rêves partagés et des visions bucoliques du film) à de quoi faire penser à un joli tour de passe-passe. L'auto-réflection sur l'artiste cinéaste dont on attend les films est aussi d'une ironie qui doit faire plier de rire Hong et Kim quand ils lisent les critiques en quête de vérité, d'interprétation herméneutique de la presse assermentée.

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