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Cinéma & dramas

King's Letters : « l'heritage film » de trop ?

2019-08-07

Séoul au jour le jour


Le film « King's Letters » de Cho Chul-hyun qui relate l'invention de l'alphabet coréen par le roi Sejong au 15e siècle, a peut-être marqué le début du reflux des « heritage films » locaux. En boudant cette oeuvre, pourtant dopée aux stars Song Kang-ho et Park Hae-il, les spectateurs ont-ils signifié que les défilés de princes glamourisés et super intelligents, qui sont l’apanage des « heritage films » ne les intéressaient plus ? Ou ont-ils eu l'impression avec le hangeul comme sujet qu'ils retournaient à leurs traumatismes scolaires ?


*La polémique

Le film montre le roi Sejeong le Grand, joué par Song Kang-ho, prendre la décision de créer une nouvelle graphie pour la langue coréenne afin de prendre ses distances avec le chinois dominant et d'éduquer son bon peuple. Ses courtisans, l'élite éduquée, est loin d'y être favorable ; ils y voient une graphie barbare simplifiant la complexité des concepts millénaires chinois, tout juste bonne pour les lettres rédigées par les femmes. Quoiqu'il en soit, le 4e monarque de Joseon s'associe à un moine bouddhiste interprété par Park Hae-il pour réaliser son projet. C'est avec ce personnage qu'une première polémique a éclaté dans la société. On a crié à une énième distorsion de l'histoire nationale et, comme pour tous les « heritage films », le réalisateur a avoué avoir pris quelques libertés. Ne lui en tenons pas rancune car les origines du hangeul sont loin d'être toutes éclaircies. Le film se base, sans le citer, sur une étude « The Road to Huminjungeum » (le nom d’origine du hangeul) qui insiste sur la proximité entre les caractères coréens et les caractères tibétains. L’influence bouddhiste y serait donc claire et passerait par les caractères mongols que Sejong connaissait bien. Cette vision atténue la version officielle d'un alphabet original quasi scientifique mimant les grimaces des orateurs (le film s'en donne, pourtant, à coeur-joie sur cet aspect visuel de l’histoire) et fait entrer la langue et sa graphie (l'une des plus modernes du monde car créé récemment) dans la sphère du sacré et du religieux international. C’était pousser le bouchon trop loin.


* Une histoire moins simple que sa graphie

L'intrigue autour de la création du hangeul aurait pu inspirer un bien meilleur scénario. Non seulement celui de ses rapports avec d'autres graphies « barbares » c'est-à-dire non chinoises, mais aussi pour les péripéties autour de sa redécouverte et des possesseurs des rares exemplaires originaux ayant survécu. Au niveau de sa création, on sait que seule l'aristocratie lisait et écrivait au 15e siècle, et elle le faisait en chinois classique. Dans la culture médiatique, la langue est souvent liée à l'identité nationale. En histoire, la fixation écrite d'une langue est souvent le signe de la consolidation d'un pouvoir. Le roi Sejeong, en créant le hangeul, se sentait assez puissant pour prendre le dessus sur les clans locaux et narguait l'empereur chinois son imperial suzerain. La fondation de l'académie de la langue française de Louis XIII officialisait le même pouvoir centralisateur. Sauf que le français officiel gardait la graphie gréco-latine et que le coréen allait longtemps mêler les idéogrammes chinois aux nouveaux caractères coréens. Dans les deux cas, les parlés locaux (dits régionaux) devaient faire profil bas.


*Autres polémiques et fin de l'histoire

En fait, le hangeul disparaîtra presque totalement après le décès du roi Sejong, et ne sera redécouvert qu'en 1912 pour devenir un symbole de l'indépendance coréenne alors colonisée par les impérialistes nippons. Cela a déjà fait le sujet d'un autre « heritage film » qui vient contredire celui-ci. Le public ne doit plus s'y retrouver. La Corée du Nord mettra en avant le choson-geul en supprimant tous les idéogrammes chinois. Ce n'est que dans les années 1950, après la guerre de Corée et l'invasion chinoise avortée, que le hangeul, renouvelé dans sa symbolique, se répandra autant dans l'éducation populaire que dans la culture de la classe dominante. Qu'à cela ne tienne, le film doit déjà faire face aux attaques des auteurs du livre qui l'a inspiré non officiellement, et à un désintérêt du public pour ces histoires de princes qui s’intéresseraient au peuple, l'Histoire aura le temps de se rebiffer si le réalisateur (ancien scénariste et producteur), pour son premier film, se sort de ce mauvais pas.

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