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Cinéma & dramas

The Book of Fish : leçon d'histoire

2021-04-14

Séoul au jour le jour


Le cinéaste Lee Joon-ik a été très clair en introduisant son nouveau film « The Book of Fish » : c'est une erreur que de faire l'histoire en se focalisant uniquement sur des figures et des événements spectaculaires, dit-il. En examinant des personnalités anonymes et rebelles d'une époque, on comprend mieux ce qui s'est réellement passé. Bref, le réalisateur sait de quoi il parle, lui qui a déjà trop donné, avec des hauts et des bas, dans les « heritage films ». Il reste à la recherche de sujets uniques capables de révéler l'histoire profonde de la Corée et une pensée libertaire originale longtemps occultée.


* Repression anti-chrétienne

Le contexte de l'histoire se joue autour des repressions anti-chrétiennes de la dynastie Joseon. Cette repression souvent violente était aussi une manière de stopper l'avancée des idées venues d'Occident dans la presqu'île gardée recluse par ses dirigeants de la classe aristocratique. Au début du 19e siècle, Jeong Yak-jeon (interprété par Sol Kyung-gu), le frère ainé d'un célèbre érudit confucianniste de l'époque, est accusé d'occidentalisme et de christianisme. Affublé du titre de traitre, il est envoyé en exil sur la pauvre île de Heuksan, dans le sud-ouest. Là, il rencontre un jeune pêcheur nommé Chang-dae. Ce dernier, grand connaisseur en poissons, va lui inspirer la matière de son livre sur la pisciculture. C'est aussi une manière, pour lui, de revenir à sa théorie de l'enseignement par la pratique en opposition aux métaphysiciens néo-confucianistes dominants. De son côté, Chang-dae, qui est un personnage à peine mentionné par le vrai Jeong Yak-jeon mais développé par le film, est un passionné de confucianisme. Il veut apprendre et monter en grade. Les deux hommes vont s'apprivoiser mutuellement peu à peu.


* Place à la poésie et au noir et blanc

Lee Joon-ik ne se contente pas de montrer la vie quotidienne des deux anti-héros de son film. Il y inclut de nombreux poèmes du célèbre frère cadet de Jeon Yak-jeon, Jeong Yak-yong alias Dasan. Ce dernier aussi est comme son frère en exil à la même époque. Il a prôné le « Silhak », c'est-à-dire un retour à la pratique contre les métaphisiciens néo-confucianistes qui dominaient l'idéologie officielle de l'époque. Il prônait également une sorte de communalisme opposé au centralisme étatique. Tout cela se retrouve à travers ses poèmes qui, souvent, en sous-texte, suggèrent les troubles et conflits idéologiques de l'époque. Ce n'est pas la première fois que Lee Joon-ik approche des poètes rebelles : citons Dong-ju puis Park Yeol durant la colonisation nippone qui sont les anti-héros de ses films précédents. C'est probablement pour préserver le sérieux et la profondeur des discussions poétiques que le film choisit le noir et blanc qui, de nos jours, crée une distance par rapport à l'illusion cinmétographique. Et ceci même si le cinéaste est conscient de prendre des risques tant le noir et blanc est mal aimé par le public sud-coréen. D'un côté, Lee  affirme que l'absence de couleurs permet de se concentrer sur les émotions des acteurs aux dépends du decorum ; de l'autre, il affirme aussi que l'absence de couleurs reflète cette époque austère du pays du Matin clair. Il avait déjà utilisé, en arguant des mêmes raisons, le noir et blanc pour son film « Dong-ju » qui avait malgré tout était un petit succès. Notons que l'absence de travail sur les couleurs permet de tourner à moindre coûts, et cet aspect économique est important pour l'indépendance du réalisateur.


* Sans roi

En faisant ce film, Lee Joon-ik éclaircit sa démarche parfois confondue avec celle des « heritage films » brodant un roman national pseudo historique. Son film célèbre « The King and the Clown » était bien un hommage aux artistes rebelles à la royauté ; et non une lecture révisionniste de la monarchie dans de nouveaux habits comme on a pu le croire. « The Throne », un autre film historique à succès du réalisateur, était également une critique du roi et de ses aristocrates. Et l'érudit confucianiste de « The Book of Fish » ne fait que transformer la critique en proposition positive : la création d'une société sans roi ni maîtres, autogérée par les individus eux-mêmes. Si le personnage de Chang-dae, interprété par la star montante télévisée Byun Yo-han, est issu de l'imagination de Lee Joon-ik, ce dernier s'en sert pour faire passer son message. Les connaisseurs du christianisme noteront que la référence au poisson est un symbole chrétien classique.


Un autre aspect politique est la considération extrême apportée par l'érudit aux classes prolétaires, considération qui s'oppose aux ambitions du petit pêcheur en qui on peu voir l'écho actuel des jeunes générations néo-conservatrices élevées dans le culte de la réussite écono-médiatique et l'esbrouffe sociale. Mais le film n'est pas si sérieux que cela. L'humour reste de mise comme souvent dans les films d'un Lee Joon-ik qui n'en finit pas d'étonner son public.

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