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Cinéma & dramas

Declaration of the idiots : hymne macabre 80's

2022-08-17

Séoul au jour le jour


Pour poursuivre notre exploration des classiques du cinéma coréens, penchons-nous sur « La Déclaration des idiots » de Lee Jang-ho, interdit pendant un an avant de sortir pour combler les quotas en 1983. Ce film est souvent donné comme le précurseur de la nouvelle vague coréenne de la fin des années 1980. A ne pas confondre avec « The March of the Fools » de Ha Kil-chong en 1975, même si les deux films ont pour point commun de vomir la société de l'époque. Voulu comme une épitaphe à un cinéma impossible et à toute une génération, voyons ce qu'il nous dit.



* Bande à part et Chaplin

On retrouve dans « Declaration of the idiots » l'influence du célèbre « Bande à Part » de Godard et aussi des films muets de Charlie Chaplin. Pourtant le contexte de cette histoire est bien coréenne. Un réalisateur, Lee Jang-ho lui-même en caleçon, se suicide du haut d'un immeuble dès la première séquence. Un idiot du village, joué par Kim Myung-gon, recueille ses derniers mots : il est impossible de faire du cinéma dans ces conditions; comprenez pendant la dictature militaire qui écrase le pays de corruption et d'une chape de plomb sur toute forme d'expression. L'idiot lui vole sa montre puis s'en va kidnapper une mignonne qui passait par-là. Il ne lui reste donc que l'amour comme chantait Jacques Brel. Dans un taxi allant nulle part et zigzaguant dans la grise ville de Séoul, et toujours sans échanger un mot, ils échouent dans un hôtel. Là, l'idiot, à l'aide d'un tournevis et d'un marteau s'échine à ôter les dizaines de culottes que porte la belle endormie. Bien sûr, elle se retrouve enceinte et l'idiot doit l'épouser. S'ensuivent toute une série de scènes cocasses d'impertinence et parfois d'une beauté emblématique et métaphorique qui fait toute la valeur du film.


* Scénographies ultimes

Le talent de Lee Jang-ho est de parvenir à synthétiser tout un univers, toute une vérité sociale et psychologique dans des scènes visuellement puissantes qui se passent des dialogues. Citons le repas de l'idiot et de sa belle enceinte avec ses parents. Comme un charlot déchaîné ou un Buster Keaton hargneux, il mange les plantes, bouscule les convenances et, bien sûr, ne dit pas un mot. Puis vient le rêve des amants où ils se voient suivre les normes sociales établies : sous l'aspect d'autres personnes, ils se marient en grande pompe, ont des enfants, les élèves dans un grand appartement bourgeois, et vont prier avec la famille. Puis au cours d'un barbecue dans leur maison de campagne, surgit l'idiot - qui se rêve donc lui-même. Il fait l'aumône et le jeune couple, devant leurs enfants, le renvoient au diable. Cette fois bien réveillés - mais on ne sait jamais si le film rêve où si nous rêvons le film - les amants avec leur ami chauffeur de taxi se retrouvent dans une soirée bourgeoise à faire le service au milieu des jacuzzis. La belle est vite prise à partie par les hommes en costume-cravate, et ils l'aspergent de gin et de whisky jusqu'à ce qu'elle s'écroule et se noie dans le bain moussant. Au ralenti, filmée sous tous les angles - non sans lorgner sur le corps mouillé et sexy de l'actrice Lee Bo-hee. Nous sommes un peu dans un giallo (sans le glamour) qui d'un côté flatte les producteurs en montrant leurs brillantes soirées, et de l'autre font une critique de la perversion bourgeoisie. Mais soudain revoilà les deux lascars qui reprennent Chaplin en se lançant dans une vendetta vengeresse à coups d'arts martiaux autant dansés que frappés. Leur revanche obtenue, ils partent avec le corps de leur beauté perdue.


ⓒYONHAP News

* Le final et la censure

Le film presque sans dialogue est remplie des sons et musiques l'époque. On y retrouve aussi des pansoris, chants récitatifs coréens. C'est un de ces pansoris funèbres qui accompagne la célèbre séquence du maquillage de la morte au milieu des herbes sauvages sur les vertes montagnettes du pays. Telle une Ophélie des montagnes, les deux charlots la maquillent tout en se tordant de douleurs et de larmes. Dans une procession à la Polanski, digne du « Gros et du maigre » ou de « Deux hommes et une armoire », les deux charlots emportent la beauté morte tandis que le chant du pansori se lamente d'une vie vaine. Ce film qui aurait pu être une sorte de brûlot jouissif anarcho-punk finit mal, et dans la tristesse. Il faut dire que la censure veillait au grain. Le comité composé de militaires qui examinait les films dès leur scénario avait demandé des modifications. Surtout que Lee Chang-ho n'avait soumis qu'une mince ébauche ; comme Godard, il souhaitait tourner selon son inspiration, à l'arrachée, dans les rues au milieu de la vraie foule. Il n'en était pas question pour une censure suspicieuse surtout depuis l'insurrection et le massacre de Gwangju un an plus tôt. Le réalisateur a donc accentué le côté débile de ses personnages et caché au second plan les attaques directes à la société de l'époque. Une scène à l'église où une pancarte nationaliste suggère que Jésus s'est sacrifié pour son pays et la loi est typique ; les censeurs ne pouvaient relever l'ironie. Après tournage, la censure demande à ce que le film s'intitule la Déclaration des idiots, comme cela, elle était certaine que les spectateurs n’adhéreraient pas au film. Pourtant, ces deux lascars titubant comme des marionnettes désarticulées sur fond de grisaille et d'autoroute paraîtrons à beaucoup bien sympathiques. En effet, après un an d'interdiction, le film est autorisé à sortir pour combler les fameux quotas. Les étudiants lui font un succès, et la génération de cinéastes qui va émerger après la chute des militaires en 1988, prendront ce film et son réalisateur comme modèle.

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