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La Peninsule coréenne de A à Z

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Pourparlers à six

4e round (phase 2)

Grandes lignes

Grandes lignes
Lieu et place 13-19 septembre 2005, Pékin (Chine)
Représentants
  • Song Min-soon, vice-ministre des Affaires étrangères et du commerce extérieur
  • Kim Kye-gwan, vice-ministre des Affaires étrangères
  • Christopher Hill, sous-secrétaire d’Etat pour l’Asie de l’Est et le Pacifique
  • Wu Dawei, vice-ministre des Affaires étrangères
  • Sasae Genichiro, directeur général adjoint du bureau des affaires asiatiques et océaniques
  • Alexander Alexeyev, vice-ministre des Affaires étrangères

Résultats: accord sur une déclaration commune en six points

Le texte de la déclaration est le suivant

1) Les six parties en présence réaffirment que l’objectif des pourparlers à six pays de Pékin est la dénucléarisation vérifiable et pacifique de la péninsule coréenne. La République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) accepte d’abandonner toutes ses armes atomiques et les programmes nucléaires existant et de ré-adhérer rapidement au traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et à l’AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique).

Les Etats-Unis affirment qu’ils ne possèdent aucune arme atomique sur la péninsule coréenne et qu’ils n’ont pas l’intention d’attaquer ou d’envahir la Corée du Nord, que ce soit avec un arsenal nucléaire ou conventionnel.

La République de Corée (Corée du Sud) réaffirme son engagement à ne pas recevoir ou déployer d’armes atomiques, en accord avec la déclaration commune intercoréenne de 1992 sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Elle affirme aussi qu’il n’existe aucune arme nucléaire sur son territoire. La déclaration commune de 1992 sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne doit être respectée et appliquée.

La RPDC affirme qu’elle a le droit à l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques.

Les autres parties expriment leur estime et leur accord pour discuter, en temps voulu, de la livraison de réacteurs à eau légère à la RPDC.

2) Les six parties ont cherché, dans leurs rapports, à respecter les objectifs et les principes de la charte des Nations unies et les normes admises dans les relations internationales.

La Corée du Nord et les Etats-Unis ont voulu respecter leur souveraineté mutuelle, le principe d’une coexistence pacifique et prennent les premières mesures en vue d’une normalisation de leurs relations.

La Corée du Nord et le Japon entament aussi des négociations en vue de normaliser leurs relations, en accord avec la Déclaration de Pyongyang (2002).

3) Les six pays réfléchissent à la meilleure façon d’établir une coopération économique dans les domaines de l’énergie, du commerce et des investissements, de manière bilatérale et multilatérale.

La Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les Etats-Unis déclarent leur volonté de fournir une assistance énergétique à la Corée du Nord. La Corée du Sud réitère sa proposition du 12 juillet 2005 concernant la fourniture de 2 millions de kilowatts d’énergie électrique à la Corée du Nord.

4) Efforts conjoints pour instaurer la paix et la stabilité en Asie du Nord-est. Les parties en présence négocieront un régime de paix permanent pour la péninsule coréenne dans le cadre d’un forum séparé.

Les six parties s’accordent sur le fait de chercher des moyens pour promouvoir la coopération régionale dans le domaine de la sécurité.

5) Les six pays sont d’accord pour prendre des mesures coordonnées pour appliquer les décisions prises sous forme de phases, sur le principe déjà énoncé de « promesse pour promesse, action pour action ».

6) Les six parties conviennent de tenir le cinquième round des pourparlers nucléaires de Pékin au début du mois de novembre 2005, la date précise restant à déterminer.

  • Parvenir à une dénucléarisation vérifiable de la péninsule coréenne
    ※ Résolution pour respecter et réaliser la Déclaration nucléaire de dénucléarisation de la péninsule coréenne de 1992.

    - La Corée du Nord : abandonne toutes ses armes nucléaires et les programmes militaires nucléaires en activité.
    Se remet en accord avec les directives stipulées par l’AIEA et le Traité de non-prolifération nucléaire aussitôt que possible.
    - Les Etats-Unis : reconfirment que la péninsule coréenne est effectivement dénucléarisée. Signe une résolution de non-agression envers la Corée du Nord
    - La Corée du Sud : confirme que la péninsule coréenne doit être effectivement dénucléarisée.
    Prend l’engagement de se conformer à la Déclaration nucléaire de dénucléarisation de la péninsule coréenne de 1992.
  • Respect du droit de la Corée du Nord à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire
    - La question de la fourniture de réacteurs nucléaires civils à eau légère sera examinée « en temps voulu ».
  • Normalisation des relations de la Corée du Nord avec le monde occidental
    - Respect mutuel nord-coréano-américain de leur souveraineté, coexistence pacifique et normalisation des relations diplomatiques.
    - Normalisation des relations entre Pyongyang et Tokyo s’appuyant sur la Déclaration de Pyongyang (résolution des différends historiques).
  • Promesse d’assistance économique et énergétique à la Corée du Nord
    - Renforcement de la coopération bilatérale/multilatérale dans les domaines de l’énergie, du commerce et des investissements.
    - Confirmation de la volonté de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, de la Russie et des Etats-Unis de fournir de l’énergie à la Corée du Nord.
    - Confirmation de la proposition sud-coréenne d’établir une ligne électrique dispensant 2 millions de kW à la Corée du Nord (12 juillet 2005).
  • Négociations pour l’instauration d’un régime de paix sur la péninsule coréenne
    - Un traité de paix doit être négocié dans le cadre d’un forum séparé.
  • Respect du principe d’une promesse pour une promesse, une action pour une action
    - Accord pour prendre des « mesures mutuellement coordonnées » respectant ce principe.
  • Accord pour tenir le 5ème round des négociations, à Pékin, début novembre
    - La date précise doit être déterminée au moyen de consultations multilatérales.

Procédure et questions-clés: la définition du démantèlement nucléaire « complet, vérifiable et irréversible » et la question des réacteurs à eau légère

Divergence marquée entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sur la question des réacteurs à eau légère

  • L’opposition acharnée et l’impossibilité d’arriver à un consensus entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sur le droit de cette dernière à utiliser l’énergie nucléaire civile a bien failli faire capoter l’ensemble des négociations. Mais la médiation et les efforts de conciliation répétés de la Chine et de la Corée du Sud ont permis d’éviter le pire.
    ※ Questions-clés et développement du débat entre Washington et Pyongyang.

    - La Corée du Nord déclare, avant même la rencontre, « qu’aucune nation n’a besoin d’une autorisation extérieure pour user de son droit à utiliser pacifiquement l’énergie atomique », et demande « la fourniture de réacteurs à eau légère en échange de l’abandon de ses réacteurs modérés au graphite » au cours de la rencontre générale organisée le 15 septembre.
    - Les Etats-Unis rétorquent que « la question des réacteurs à eau légère est totalement inenvisageable ».
    - Au cours d’une conférence de presse tenue le 16 septembre, la Corée du Nord dénonce l’attitude des Etats-Unis, et menace de « ne pas interrompre ses activités nucléaires à moins qu’on lui fournisse des réacteurs à eau légère ».

    ※ En parallèle, la Corée du Nord propose « à cause des craintes exprimées par les Etats-Unis, [que] les réacteurs à eau légère seront exploités conjointement et soumis aux inspections ».

Efforts de conciliation de la part de la Chine et de la Corée du Sud

  • La délégation sud-coréenne fait la preuve de sa finesse diplomatique à plusieurs moments-clés des discussions, parvenant à éviter leur échec.
    - Le chef de la délégation sud-coréenne, Song Min-soon, atténue les désaccords entre les Etats-Unis et la Corée du Nord en faisant remarquer que « une fenêtre d’opportunité est ouverte sur la question des réacteurs à eau légère » (15 septembre).
    Le président de la République Roh Moo-hyun apporte son soutien en déclarant que « les droits à l’accès au nucléaire civil doivent être respectés, à condition que certaines conditions soient respectées » (16 septembre).
    - Lors d’un discours ministériel (14 septembre), le ministre sud-coréen de la Réunification, Chung Dong-young, demande la coopération de la Corée du Nord afin de rédiger une déclaration commune, et communique aux officiels nord-coréens le message du négociateur américain Christopher Hill, qui affirme que « Washington était clairement décidé à normaliser ses relations avec Pyongyang ».
    - Ban Ki-moon, le ministre sud-coréen des Affaires étrangères, contacte Condoleezza Rice pour exprimer le soutien de la Corée du Sud au cinquième projet de déclaration commune rédigé par la Chine, demandant d’urgence un changement de position de la part des Etats-Unis.
  • La Corée du Sud ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un « accord de principe », et multiplie ses efforts de conciliation quand les divergences de vues entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sur les réacteurs à eau légère commencent à menacer l’ensemble des négociations.
    - La remarque sud-coréenne à propos d’une « fenêtre d’opportunité » a contribué à permettre d’éviter le naufrage des pourparlers à cause de la question des réacteurs à eau légère.
  • La Chine, pays hôte, a en permanence aidé à maintenir le dialogue entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, et a sans relâche œuvré pour aider les négociateurs des deux pays à continuer d’essayer de trouver un terrain d’entente.
    - Dans son cinquième projet de déclaration commune, la Chine demande aux Etats-Unis et à la Corée du Nord de ne répondre « que par l’affirmative ou la négative » ; la Corée du Sud soutient officiellement le texte.
    - Au cours d’une conversation téléphonique avec la secrétaire d’Etat américaine Rice, le ministre chinois des Affaires étrangères Li Zhaoxing souligne que « les Etats-Unis doivent prendre une décision ».
  • Le New York Times et le Washington Post écrivent que la Chine est sortie “victorieuse” de ces discussions, rappelant le rôle central qu’elle avait joué pour arriver à un résultat positif.

Réduction des différends et accord sur une déclaration commune

  • Jusqu’à la rencontre des délégués en chef, le 18 septembre, les Etats-Unis ont maintenu que le projet rédigé par la Chine était « ambigu », tandis que de son côté, la Corée du Nord n’est pas non plus convaincue.
    Malgré les craintes de rupture des négociations, les efforts combinés de la Chine et de la Corée du Sud ont permis l’annonce d’un accord autour d’une déclaration commune le 19 septembre.
    ※ Les Etats-Unis et la Corée du Nord continuent leurs entretiens bilatéraux, malgré le différend important sur la question des réacteurs à eau légère.
  • Finalement, les deux pays s’accordent sur le droit de la Corée du Nord à utiliser pacifiquement l’énergie atomique, à condition de remplir les conditions d’un démantèlement nucléaire militaire « complet, vérifiable et irréversible », du retour de Pyongyang au Traité de non-prolifération et de sa soumission aux inspections de l’AIEA.
  • Ce résultat positif semble en partie dû à la répugnance à la fois des Etats-Unis et de la Corée du Nord d’être tenus pour responsable de l’échec des négociations. On doit aussi souligner la volonté nord-coréenne d’accepter la stratégie du démantèlement « complet, vérifiable et irréversible » en échange de concessions plus concrètes qui pourront être accordées grâce à une position américaine qui s’assouplit pour trouver des compromis.

Evaluation de la rencontre

Accord sur une déclaration commune et sur le principe de la dénucléarisation de la péninsule.

  • La formulation ambiguë de « dénucléarisation de la péninsule » a été employée du 1er au 3ème round des pourparlers de Pékin, mais elle s’est un peu concrétisée en se référant directement à « l’abandon par la Corée du Nord de ses programmes nucléaires ».
  • Son côté coercitif s’est aussi renforcé en articulant les principes du respect par la Corée du Nord des normes internationales, l’assurance de la sécurité physique du pays donnée par les Etats-Unis et la promesse, par les deux Corées, du respect de la déclaration conjointe sur la dénucléarisation de la péninsule.

Engagement de la Corée du Nord sur une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible »

  • Si on considère que les capacités nucléaires de la Corée du Nord étaient son atout le plus important dans ses négociations avec les Etats-Unis, après la chute de l’empire soviétique et du bloc de l’Est, cette décision est d’une importance capitale.
  • La déclaration commune comprend des articles sur toutes les promesses concédées en échange, comme la normalisation des relations avec Washington et Tokyo, la fourniture d’une assistance énergétique ou la coopération économique. De plus, la déclaration mentionne également le « respect du droit de la Corée du Nord au nucléaire civil » et « la résolution de la question de la fourniture de réacteurs à eau légère en temps voulu ». Ce sont probablement ces deux clauses qui ont poussé la Corée du Nord à signer la déclaration.

Concessions américaines à propos des réacteurs à eau légère

  • Les Etats-Unis font une concession importante en acceptant le droit de la Corée du Nord au nucléaire, à condition qu’il reste civil et pacifique. Washington valide aussi le principe de la fourniture d’une assistance énergétique massive, allant plus loin que lors des rounds précédents.
    ※ Certains estiment que c’est la proposition nord-coréenne de laisser la gestion des réacteurs civils à un comité émanant des six pays participants aux pourparlers de Pékin qui a poussé les Etats-Unis à faire ces concessions.
  • Les Etats-Unis confirment leur position sur l’engagement de non-agression de la Corée du Nord, prévenant ainsi l’argument nord-coréen que la force nucléaire lui est nécessaire pour prévenir la menace d’une attaque militaire américaine.

Etablissement d’un régime de paix sur la péninsule coréenne, normalisations des relations diplomatiques entre Pyongyang, Washington et Tokyo, organisation du Forum de la paix

  • Avec l’acception par tous de l’idée de l’organisation d’un forum séparé pour discuter de l’établissement d’un régime de paix sur la péninsule coréenne, une base est établie pour poursuivre les négociations sur la question.
  • La possibilité d’une normalisation des relations de la Corée du Nord avec les Etats-Unis et le Japon pourrait mettre un terme aux réminiscences de la guerre froide qu’on peut encore sentir à travers l’organisation militaire en vigueur dans les deux Corées.
  • On peut y voir l’embryon d’une résolution définitive du problème nucléaire nord-coréen -> dissolution des structures issues de la guerre froide et établissement de la paix dans la péninsule -> réalisation de la vision d’une « Coopération nord-asiatique pour la sécurité ».

Des formulations ambigües préparent les mésententes à venir

  • Bien qu’un accord sur le principe de « promesse pour promesse » ait été trouvé, les divergences de points de vue entre Pyongyang et Washington sur la phase « action pour action » promettent de nouveaux affrontements.

    - Champ d’application de la notion « complet, vérifiable et irréversible ». On s’attend à des difficultés quand viendra le temps de définir précisément quelles installations et quels matériels devront être soumis à la vérification. Les Etats-Unis voudront qu’elle soit la plus large possible, tandis que la Corée du Nord fera tout pour réduire le champs d’application des vérifications et inspections.
    - Temps de la fourniture des réacteurs à eau légère. La Corée du Nord va continuer à demander la fourniture de réacteurs à eau légère avant tout, alors que les Etats-Unis maintiendront qu’il ne pourra en être question qu’après que les programmes nucléaires nord-coréens aient été abandonnés.
  • En Corée du Sud, sur le plan intérieur, on craint des disputes sur la confusion possible entre la question des réacteurs à eau légère et celle de la « proposition importante » du Sud de fournir 2 millions de kilowatts au Nord.
    ※ Le gouvernement sud-coréen déclare que les réacteurs à eau légère et la Kedo sont « deux projets distincts », et que cette « proposition importante » remplacerait les réacteurs que devaient construire la Kedo. Le gouvernement précise que la fourniture d’électricité ne durerait que le temps que soit terminée la construction de réacteurs à eau légère.

Perspectives

  • Bien que la déclaration commune reflète le consensus général sur la dénucléarisation de la péninsule, la route qui mène à des actions concrètes garantissant la sécurité, les aides économiques et la normalisation des relations diplomatiques avec la Corée du Nord reste encore longue. On s’attend à trouver de nombreuses difficultés sur le chemin qu’il reste à parcourir.
  • Dans ce sens, le 5ème round des pourparlers de Pékin, qui doit se tenir en novembre, promet de soulever plus de questions et de difficultés que de réponses.
  • L’annonce par la Corée du Nord que « les réacteurs à eau légère doivent être fournis avant tout », qui a immédiatement suivi la publication de la déclaration commune, souligne les difficultés qu’il faudra aplanir lord du 5ème round de discussions.
  • Cette demande de la Corée du Nord, plutôt qu’une dénonciation de la déclaration commune, semble plutôt être faite pour essayer de prendre l’initiative. La formulation ambiguë de la déclaration prête à plusieurs interprétations.
  • Pour cette raison, les Etats-Unis et le Japon se retiennent de réagir trop vivement.
    - La secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice déclare tout de même, le 21 septembre, « qu’en aucune circonstance les réacteurs à eau légères ne seront fournis en premier ».
    ※ Le 19 Septembre, date de la fin du round, tous les pays, à part la Corée du Nord, estiment que la formulation « en temps voulu » du texte à propos des réacteurs à eau légère doit être interprétée comme « après que la Corée du Nord ait abandonné ses programmes nucléaires, qu’elle ait rejoint le TNP et appliqué les recommandation de l’AIEA ».