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Chants et anecdotes

Voici une jeune femme jetée en prison. Elle s’appelle Chunhyang, l’héroïne d’un numéro de pansori portant le titre éponyme. Elle se retrouve dans cette cellule solitaire et sinistre pour avoir vexé le mandataire du roi dans sa commune, un coureur du jupon Fidèle à son premier amour, elle a tout naturellement refusé de le servir en dame de compagnie.


Pendant la journée, elle se morfond dans sa solitude. Le gouverneur a été si vexé et frustré devant le refus catégorique de la belle jeune femme qu’il a interdit, à qui que ce soit, de lui rendre visite. Pendant la nuit, la prisonnière d’autant plus pitoyable qu’elle est innocente est victime d’hallucination. Comme si elles étaient vivantes, vacillent les ombres jetées sur le sol par les barreaux à la lueur d’une torche fixée au mur dans le couloir de la prison. De temps à autre, le sifflement d’un courant d’air traverse la cellule de Chunhyang. Celle-ci est effrayée. « Les esprits me guettent », se dit-elle. Un morceau du « Chant de Chunhyang », qui reproduit tout cela, le fameux « Guigokseong », « pleurs des esprits », est un passage réputé difficile à maîtriser dans le milieu des chanteurs de pansori.


Quant à un autre mandataire du roi en province, c’était un grand amoureux du pansori, qui savait par ailleurs choisir un morceau à écouter selon les circonstances. Un soir, sa journée ayant été bien accomplie conformément à ses fonctions, le voici donnant un festin dans un pavillon isolé. Le lieu de fête est éclairé par de multiples bougies. Les flammes vacillent à la brise venant d’une rivière sur laquelle donne le pavillon. Est-ce ce vacillement qui lui a donné cette idée ? « Et si nous écoutions le « Guigokseong » ? » propose le gouverneur. Tout le monde est d’accord, autrement dit, consentant à l’idée de l’homme tout puissant dans leur commune. Un serviteur va alors chercher un chanteur de pansori et revient avec un certain Song Heung-rok réputé en particulier pour son « Guigokseong ».


En effet, il chante admirablement la scène pour que l’auditoire ne puisse s’empêcher de déplorer le sort de l’héroïne du « Chant de Chunhyang ». Le chanteur va maintenant reproduire les éléments qui ont effrayé la pauvre jeune prisonnière jusqu’à l’halluciner. Ca y est, il vient de faire revenir les pleurs des esprits, lorsque soudain, toutes les bougies s’éteignent. On imagine la surprise effrayée des convives. L’anecdote s’arrête là. Mais le gouverneur, visiblement très attaché à la combinaison d’un chant et des circonstances, aurait pu dire : « Continuez à chanter. Et ne rallumez surtout pas ! »


Laissons-le savourer ce qui serait ainsi devenu une musique de circonstance pour nous intéresser, quant à nous, à l’anecdote liée à un chant d’un tout autre genre.


Ruisseau bleu, que tu es fier de ton cours sans entrave

Jeté dans le grand bleu, tu auras beau regretter ton parcours

Que penses-tu d’une pause au clair de la Pleine lune


Ainsi disent les paroles du chant. Texte attribué à une certaine Hwang Jini, une geisha-poétesse de l’époque de Joseon, qui s’est donné comme sobriquet « Mueongwol », « lune éclatante » ou « pleine lune ». Dans son poème, elle propose donc, de façon métonymique, de passer un moment qui doit être agréable auprès d’elle. A qui ? Eh bien, à un homme portant, quant à lui, comme surnom « Byeokgesu », « ruisseau bleu ».


Yi Dal de son vrai nom, c’était un arrière-petit-fils du roi Sejong le grand. Un sang bleu donc, vivant sans entrave ou presque. Il semble cependant que son surnom « ruisseau bleu » ne faisait pas référence à son origine familiale et à sa vie libre et aisée. Il était plus probablement ainsi surnommé, parce que sa conduite témoignait de la noblesse de l’âme héritée de son honorable aïeul, et que sans se mêler des affaires politiques, ce qui était difficile, quasi impossible même, pour un prince, il menait une vie semblable à un cours d’eau tranquille. Bref, ce n’était pas un homme qui pouvait s’intéresser à une geisha ou « kiseng » en coréen, même s’il s’agissait d’une grande beauté, douée de surcroît pour la poésie comme Hwang Jini. Celle-ci pouvait justement avoir d’autant plus envie de le séduire qu’il lui semblait être indifférent à ses charmes.


Laissons-la chercher à le séduire pour nous intéresser, quant à nous, à l’anecdote liée à un autre poème chanté. Le personnage dont il s’agit appartient également au sang royal, le prince Bongrim, à qui revient justement le texte du chant. Il l’aurait écrit sur le chemin de la Chine dont les Mandchous étaient le nouveau maître. Le peuple guerrier avait également envahi la péninsule coréenne pour subjuguer finalement le roi de Joseon. Ayant conclu la paix dans des conditions humiliantes pour lui, le vaincu fut forcé par le vainqueur de lui donner en otage ses deux fils dont le prince Bongrim. Celui-ci se sentait-il abandonné ? Dans son poème, ayant raconté les conditions pénibles de son voyage en exil, il regrette de ne pas disposer d’un peintre qui, par un dessin, pourrait faire savoir à Sa Majesté dans quel état est son fils. On peut l’interpréter comme étant une façon allusive de mettre en cause l’impuissance du roi son père.


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Guigokseong » chanté par Cho Sang-hyun.
  2. « Ruisseau bleu... » chanté par Yi Tun-jin.
  3. « Cheongseokryeong... » chanté par Yi Dong-kyu.

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