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Les « chants orthodoxes »

Jungak, « musique juste » ou « musique orthodoxe », ainsi s’appelle le genre musical regroupant des sonates et des cantates qui furent au goût de la noblesse de Joseon, la dernière monarchie coréenne. Le terme semble avoir été inventé par un institut de musique privé, le Conservatoire de Jungak, qui a ouvert ses portes en 1911, au lendemain de l’annexion de la Corée par le Japon, et dont l’objectif était le maintien et la transmission de la tradition musicale au sein de l’aristocratie de Joseon. Vu ce qu’il sous-entend, il s’agit d’un terme impliquant un dédain, sinon le mépris, à l’égard de la musique populaire, d’origine coréenne ou étrangère, notamment du style « enka », un genre musical japonais ayant débarqué sur le sol coréen avec la colonisation.


Le jungak est en quelque sorte l’équivalent de la musique classique, à savoir la musique occidentale savante. Et comme celle-ci, il n’est apprécié que par un public restreint. En fait, cette musique dite « juste » ou « orthodoxe » est marquée par une lenteur extrême et est ainsi loin d’être au goût des Coréens du nouveau millénaire, notamment des jeunes qui adorent la rapidité dans tous les domaines. S’agissant des cantates de ce genre musical, jungka, « chant juste » ou « chant orthodoxe », les paroles ont elles aussi peu de chance d’être appréciées par la jeune génération. Alors que celle-ci n’a pas peur des mots, le texte d’un jungka est constitué en général d’expressions implicites et allusives.


Soucieux de la perte d’une tradition musicale autant que les fondateurs du Conservatoire de Jungak, certains professionnels du gukak de ce XXIe siècle cherchent un moyen pour populariser cette « musique juste » : chanter une cantate de ce genre accompagnée à un instrument de musique occidental, ou en chœur, par exemple.


Un jungka intitulé « Lettre à l’aurore » est effectivement chanté au geomungo et au piano. Son texte fait allusion à une plainte des amoureux qui ne se retrouvent que rarement et qui trouvent que la nuit est trop courte. Un jeune Coréen qui l’écoute peut-il comprendre cette allusion à travers le texte sous forme de lettre adressée à l’astérisme Grande casserole en le suppliant de retarder l’apparition de l’étoile du matin, voire Vénus, dans le ciel ?


Quant à deux autres jungka qui ont fait l’objet d’adaptation moderne, les textes sont tirés, l’un comme l’autre, d’un sijo, un tercet, de Hwang Jini, une geisha et poétesse du XVIe siècle. Pour apprécier le jeu de mots dans l’un, il faut savoir qu’elle était surnommée Myeonweol, « pleine lune », et qu’elle cherchait à séduire un noble assez indifférent à la beauté d’une femme, un certain Yi Jong-suk, plus connu sous son sobriquet Byeokesu, « ruisseau bleu ». Voici la traduction de ce tercet, un poème de séduction en quelque sorte :

Ruisseau bleu, que tu es fier de ton cours sans entrave

Jeté dans le grand bleu, tu auras beau regretter ton parcours

Que penses-tu d’une pause au clair de la Pleine lune


Quant à l’autre tercet, également un chant d’amour, il est tout simplement admirable :

Une longue nuit d’hiver, j’en découpe une partie au milieu

Je l’enroule et la mets dans mon lit parfumé de printemps

Je la déroulerai pour accueillir mon amour


S’agissant cette fois d’un jungka dont les paroles sont tirées d’un gasa, un poème en prose, où se trouve le Mont Suyang évoqué au tout début du chant ? Quelque part en Chine. Il est cependant impossible de le localiser avec précision, car il existe pas moins de cinq montagnes portant le même nom. De toute façon, c’est dans l’une de celles-ci que selon une légende, deux sujets fidèles à la dynastie Shang se seraient retirés en réaction à l’avènement d’une nouvelle dynastie, Zhou.


De cette histoire populaire racontée comme un exemple de la loyauté, l’auteur anonyme de notre poème mis en musique n’a retenu que deux choses : le nom de la montagne et une plante comestible, une espèce de fougère, qui constituait une nourriture de base pour les deux hommes ayant choisi la vie d’ermite. Autrement dit, il se fichait ou presque de la moralité de la légende pour que Mont Suyang ne rime pour lui rien d’autre qu’avec fougère. Le ton est donné. La suite de son poème est effectivement une association libre, un enchaînement d’idées qui lui viennent à l’esprit. Ainsi, il trouve la fougère bonne pour un appât. Etait-il grand amateur de pêche ? En effet, il s’imagine ensuite avec sa canne à pêche et de la fougère à l’hameçon, au bord de la rivière Wei, un affluent du fleuve Jaune. En fait, du début à la fin de son poème, la référence spatio-culturelle demeure la Chine. Le poète pense ensuite à un poisson pêché, bon à manger, et à un bon vin qui va avec. Puis il évoque Li Bei ou Li Po, un poète légendaire de la dynastie Tang, qui puisait son inspiration essentiellement dans son état d’ivresse. L’évocation de cet homme de lettres chinois transporte, en imagination, son homologue coréen au Dongting, un immense lac dans lequel, selon une légende, Li Bei, ivre, se serait noyé en plongeant d’un bateau pour pêcher le reflet de la lune. De quoi va-t-il s’agir ensuite ? Oui, de la lune.


Au niveau de ses paroles dont certains diraient qu’elles sont écrites un peu n’importe comment, le jungka intitulé Mont Suyang fait une exception. Quant à son adaptation moderne, on en dirait qu’elle n’a rien à voir avec le goût de l’ancienne noblesse de Joseon. Il s’agit en réalité d’un moyen pour populariser la musique dite « orthodoxe ».


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Lettre à l’aurore » chanté par Jo Eui-sun avec Shin Ju-hee au geomungo et Jung Shin-hye au piano. 
  2. Deux tercets de Hwang Jini chantés respectivement par Yi Yun-jin et par Souljiki. 
  3. « Mont Suyang » chanté par Gang Kwon-sun. 

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