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Next So-hee ou aux bons souvenirs de France Telecom

2023-03-29

Séoul au jour le jour


Ceux qui se souviennent de France Telecom ne seront pas surpris par le film « Next So-hee » de July Jung. Harcèlement moral et exploitation sont au menu avec suicides en chaîne à la clef. La Corée du Sud, comme la France, sacrifie annuellement des dizaines de jeunes femmes et de jeunes hommes sur l'autel du capital, c'est connu. Jung, dont le film était sur la croisette à Cannes l’année dernière, tente là de faire le portrait d'une de ces suicidées de la société. 



* L'exploitation capitaliste sud-coréenne

So-hee est une stagiaire. Elle vient d'un lycée professionnel comme il y en a tant pour les adolescents ne pouvant se payer des études à la fac. Son stage se passe dans une compagnie de service après-vente de téléphone. La Corée du Sud est connue pour être un grand fabricant de ce genre de machines portables. Pro-capitaliste sans le savoir comme beaucoup de consommateurs, elle se montre une brillante exécutante. Mais les coups de téléphone des abonnées, commence à lui mettre la puce à l'oreille : la société capitaliste ne tourne pas rond. C'est la misère partout. Entre deux beuveries au soju entre copines, elle fait confiance à son charmant manager. Il faut absolument faire des bénéfices sur le dos des abonnés même quand ceux-ci veulent résilier leur contrat. So-hee acquiesce, obéissante et bonne élève. Mais voilà que le manager se suicide. La jeune stagiaire déprime, redouble les cuites au soju. La nouvelle manager enfonce le clou. Finalement, la pauvre fille finit, elle aussi, par se suicider. Vient alors la justicière Bae Doona, flic de haut poil, pour révéler l'affaire à la face de qui, on ne sait pas.



* Suicide social

Les affaires de suicides sont légions en Corée du Sud, malheureusement. L'exploitation capitaliste de la grande majorité de la population également. Jung le sait bien et tente de montrer le processus en détail en suivant pas à pas le destin tragique de la jeune So-hee. Il y a encore une trentaine d’années, ces jeunes gens auraient fini dans les usines et les fermes industrielles. Mais les changements dans l’économie font qu'ils se retrouvent dans les bureaux des méga-compagnies sans que rien ne change pour leurs conditions aliénantes de travail. Seul le décor a changé. Le sujet touche particulièrement les femmes. Il y a encore une trentaine d’années, la majorité se retrouvait mariée et à biberonner quelques mioches vite fait. Le coût des mariages à des hommes eux-mêmes en difficultés financières et le coût de l’éducation des enfants ont fait qu'elles se retrouvent en première ligne dans ces encasernements bureaucratiques qui sont plus des geôles que de véritables endroits de travail. 

Comme le montre le film, So-hee a des relations de compétitivité absurde avec ses camarades. La plus belle scène du film qui en comporte peu ressemble à la scène d'introduction de « Burning » de Lee Chang-dong. On y voit une ancienne camarade de bureau de So-hee faire la guignole à l’entrée d'un parking de supermarché. Elle invite par force grimaces et gesticulations les voitures des riches clients à entrer dans le parking souterrain géant. On est au plus bas de la déchéance humaine. Malheureusement, le film de July Jung oublie trop souvent la puissance de la vision de situations injustes ou absurdes, il leur préfère une logorrhée dans des dialogues interminables et surfaits.    



* Filmer les prolétaires avec du style

Le problème du film de July Jung reste dans le style. Et ceci, même s'il est plus cohérent que son précédent « A Girl At My Door ». Rappelons que ce dernier se fourvoyait en mélangeant des intrigues de migrants illégaux, de flic lesbienne (encore Bae Doona) et de midinette en plein fantasme. Ce n'est pas parce qu’on raconte des histoires de prolo qu'il faut les filmer mal. La camera de July Jung est avant tout un simple micro. Elle enregistre des dialogues sans fin et d'un réalisme contestable - voir les nombreuses scènes d’engueulades en public et en plein lieu de travail : chose très rare au pays du Matin clair. Ce qui soulève une autre aspect du problème : le réalisme. Donnons un carré d'as à Jung pour avoir choisi ce sujet, mais il est facile de la mettre K.O en essayant de relever le réalisme de son film. 

Le réel a besoin d’être vu et le cinéma le peut. Il peut montrer ce qui ne se voit pas d'habitude. Et c'est tout ce que demandent les prolos. Inutile de blablater sur l'injustice de l'exploitation capitaliste des jeunes filles dans les compagnies. On connaît l'histoire. La partie finale ou entre en scène - enfin - Bae Doona est exactement le contraire de ce que l'on attend. Une Bae Doona représentante de la police, on en croit pas nos yeux même fatigués. Comme si ce problème relevait de la police ou de l’État tout puissant, Bae Doona en « zombie » détective a beau faire des interviews des protagonistes cela n'est que redondance avec la première partie du film. Rien de plus n’apparaît à l'image. 

Bref, ne jetons pas le l'eau du bain avec le bébé. July Jung est courageuse surtout avec des alliés triés sur le volet qui la mènent à Cannes. Mais cela ne saurait durer. Esperons que l’histoire du cinéma et de son commerce se trompent pour la jeune réalisatrice.

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