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Les Coréens fétards

« Les Quatre saisons ». Nous ne parlons bien sûr pas du célèbre concerto pour violon de Vivaldi ; il s’agit du titre d’un chant figurant dans un registre musical appelé « danga », une liste de mélodies relativement courtes destinées à être chantées précédemment à l’interprétation d’un numéro de pansori. Rappelons que la version complète d’un récit chanté ou opéra coréen est d’une durée extrêmement longue : 3 heures pour le plus court et 8 heures pour le plus long. Quand on songe qu’il est interprété par un seul chanteur ou une seule chanteuse en compagnie d’un tambouriste ! Sans parler de la performance artistique, il s’agit là d’une véritable épreuve physique. Ainsi, tout comme un sportif, l’interprète d’un numéro de pansori a besoin d’un échauffement, échauffement vocal pour être précis, et chante pour cela un « danga ». A noter qu’il s’échauffe de cette façon, non pas en coulisse, mais sur scène, car il s’agit aussi de faire en sorte que le public se prépare pour suivre un spectacle particulièrement long.


Un « danga » chante le plus souvent un beau paysage, comme si l’artiste ayant à faire preuve aussi de sa performance physique avait besoin de s’oxygéner. Les paroles de cette sorte de chant préparatoire consistent aussi assez souvent à rappeler que la vie est éphémère, comme pour dire au public que par rapport à ce fait, la durée du spectacle auquel il va assister n’est rien. « Les Quatre saisons » combine justement ces deux sujets. Il chante la beauté de chaque saison, et ce en comparant chacune à une phase de la vie et finit par dire :


Je me souviens du printemps ainsi que de ma jeunesse

Comme si ce n’était qu’hier

Mais voilà que j’ai des cheveux blancs

Comme si ma tête était recouverte de flocons de neige


Le chant ne finit cependant pas par une lamentation, mais une réaction face au vieillissement, voire à l’angoisse de la mort. L’ultime morceau des paroles dit effectivement :


Laissons les méchants nous précéder dans la mort

Et nous, les gentils, amusons-nous encore un peu


Ces paroles, qui nous amusent justement, semblent sous-entendre : autant le moment de faire ses adieux à ce monde est proche, autant on doit chercher à jouir de la vie. Une solution pour nous détourner de l’angoisse de la mort ?


Comment expliquer le fait que pratiquement tous les « danga », quel que soit leur sujet, finissent par cette sorte d’incitation à la jouissance ? C’est sans doute parce que c’est un chant précédant un grand divertissement qu’est un numéro de pansori.


« Ils adorent les fêtes », témoigne un vieux document chinois à propos des Coréens de l’époque antique. « Il leur arrive de ne faire que manger et boire durant plusieurs jours. A cette occasion, ils passent une nuit entière à chanter et à danser. » En effet, d’autres témoignages, de leurs voisins et aussi de leurs propres ancêtres, le confirment : les Coréens sont traditionnellement fêtards. Ils profitent de toutes les occasions ou presque pour créer une ambiance festive. En voici un exemple.


« Sangyeo sori » est un chant de funérailles, plus précisément celui qui est destiné à cadencer les pas des porteurs du « sangyeo », un corbillard sans roue, qui se déplace donc à force de bras. On ne l’entend pas seulement le jour des obsèques, mais aussi assez souvent de façon anticipée, c’est-à-dire durant la veillée mortuaire. Pour mieux comprendre cette pratique, remontons le temps pour nous retrouver à une époque où une famille coréenne ayant perdu l’un des leurs accueillit encore nulle part ailleurs que dans leur maison ceux qui sont venus présenter leurs condoléances.


Après avoir pris part à la douleur de la famille du décédé, ces visiteurs sont invités à un repas collectif. Sans nullement se gêner, au contraire, persuadés que leur présence réconforte les malheureux, ils peuvent rester aussi longtemps qu’ils veulent, et ce à manger et à boire. Les fêtards peuvent en profiter d’autant plus que l’ambiance est plutôt bon enfant. En effet, encore de nos jours, une veillée mortuaire en Corée n’est pratiquement jamais marquée par la solennité. Est-ce parce que les visiteurs sont assez philosophes ou qu’ils sont si peu hypocrites pour ne pas affecter un air triste tout au long de la veillée ?


Pour revenir à la famille du décédé que nous imaginons, elle compte parmi les visiteurs ceux qui ont été assez gentils pour accepter de transporter le « sangyeo ». Et ce sont eux qui semblent avoir envie de profiter le plus longtemps possible de cette veillée mortuaire paradoxale du fait de ressembler à une fête. Certains d’entre eux sont visiblement ivres et se comptent comme s’ils étaient invités à une véritable fête. Vont-ils aller jusqu’à chanter et à danser ? En effet, l’un d’eux finit par proposer : « Et si nous répétions le transport du sangheo ? » Si tout le monde est d’accord, il n’a qu’à dire : « Musique ! »


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Les Quatre saisons » chanté par Cho Sang-hyun.
  2. « Sangyeo sori » par Gang Jun-seop. 
  3. « Juqu’au bout de la nuit » par Goraeya.

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