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Culture

Besoin de distinction sociale en musique

#Aux sources de la musique coréenne l 2021-03-24

Aux sources de la musique coréenne

Besoin de distinction sociale en musique

Peut-on parler de sensibilité commune d’un peuple ou d’une ethnie ? Certains ethnologues pourraient répondre « oui » et invoquer notamment la musique folklorique propre à chaque nation. Comment expliquer alors le fait que dans la tradition musicale d’un pays, il existe d’autres genres musicaux aussi vieux que celle-là et sensiblement différents d’elle ? Dans le cas du gukak par exemple, la musique folklorique, « minsokak », n’a en effet pratiquement aucun élément en commun avec le « jeongak », « musique juste » selon la traduction littérale, invention de l’aristocratie, ou encore avec la musique de la cour royale, « aak ». Force est donc de constater qu’appartenant à la même nation, classe dirigeante et gens du peuple ne partageaient pas la même sensibilité.


Il semble cependant qu’il s’agit là d’une constatation qui ne nous amène pas forcément à nier complètement la sensibilité commune d’une nation, mais à penser que la faculté de sentir chez un individu, loin d’être héréditaire, se forme d’intelligence et dans le cadre des besoins sociaux. Dans la Corée de Joseon par exemple ou de Koryeo, la dynastie précédente, ceux qui constituaient la classe dirigeante ne pouvaient peut-être pas s’empêcher d’aimer la musique populaire, du fait justement de partager la même sensibilité avec la population soumise, mais avait en même temps besoin de se distinguer de celle-ci, notamment en appréciation des produits musicaux, car, façon de justifier la légitimité de leur pouvoir, ils se devaient d’avoir un goût distinct de celui du commun des mortels. Un roi de Joseon ou de Koryeo par exemple pouvait-il se sentir au-dessus de tout le monde, si c’était sur une musique folklorique qu’il célébrait une fête en compagnie des hauts dignitaires ? Mais à quoi la noblesse pouvait-elle faire appel pour réaliser cette distinction sociale ? L’origine d’une musique rituelle, « Boheoja », peut nous éclaircir sur ce sujet.


Il s’agit de celle de la cour royale de Koryeo et qui a été reprise par la dynastie suivante de Joseon. Elle est donc vieille de plus de mille ans. S’ils connaissaient l’origine de cette mélodie, les Coréens ne devraient cependant pas être tellement fiers de compter en matière de gukak, « musique nationale » selon la traduction littérale, une œuvre musicale si ancienne et conservée si longtemps. « Boheoja » est effectivement d’origine chinoise, un emprunt à la musique de la cour impériale des Song.


 Il est vrai que grâce à ses institutions développées, la Chine antique était un modèle pour les pays voisins, en particulier pour la Corée et le Japon. Il est cependant sûr que ce n’était pas pour mieux administrer leur pays que les Coréens constituant la classe dirigeante de Koryeo sont allés jusqu’à s’inspirer de la musique continentale. Il était sans doute question pour eux de se sentir différents des gens du peuple, autant dire supérieurs à eux. En effet, pour prendre l’exemple d’un homme particulièrement, voire excessivement orgueilleux, il a tendance à dédaigner, voire même mépriser ce qui enthousiasme la plupart des gens pour se passionner, lui, de ce qui les désintéresse.


 Qui dit « aristocratie » dit « naissance » « De quel droit nous forcez-vous à la soumission ? » Face à cette question d’un roturier audacieux, un aristocrate aurait certainement comme réponse : « C’est le droit que j’ai hérité de mes aïeux. » Noble par sa naissance, non seulement au niveau du sang, mais aussi à celui du lieu dont on est originaire, comme le montre la particule nobiliaire « de » en français, en termes de droit du sang et aussi de droit du sol, si l’on veut. Un aristocrate de Joseon pouvait insister par exemple sur le fait que depuis la fondation de la dynastie, sa famille habitait à Hanyang, la cité royale, et l’actuelle Séoul. Selon les paroles d’un vieux chant, « Monts de renom », Séoul, enfin Hangyang, serait par ailleurs le berceau des hommes les plus éminents du pays. Ce chant est évidemment du registre de la musique de noblesse, « jeongak ».


Cependant, il était une fois un aristocrate chinois qui fut assez franc avec sa sensibilité. Le prince Xuan de Chi en Chine de l’époque des Etats combattants avoua : « J’adore la musique. Mais j’ai honte de préférer la musique du marché à celle de mon rang. » Ce n’était bien sûr pas devant n’importe qui que le prince fit son aveu, mais devant Mencius, un grand sage confucéen qui était venu dans sa principauté pour lui apprendre l’art de gouverner. « Sire, dit le philosophe, ce n’est point une honte. Au contraire, jouir avec vaut cent fois mieux que de jouir en solitaire. Jouir avec le peuple, cela vous rend d’ailleurs digne de votre titre. »


 « Jouir avec le peuple », « yeominrak » en caractères chinois et selon la prononciation coréenne, ces mots inscrits dans l’un des quatre livres canoniques du confucianisme, « Mentzeu » ou « Mencius », auraient sauté aux yeux d’un roi coréen de Joseon qui était particulièrement attaché à son peuple et qui a fait mille choses pour leur bien-être : Sejong le grand. Monarque érudit, doué aussi pour les arts, il a pris sa part à la composition d’une musique rituelle de sa cour et a ordonné de l’intituler « Yeominrak ». Ce n’est pas une mélodie s’apparentant à la musique populaire de l’époque. Son titre nous apprend tout de même que le roi ne tenait nullement à un écart creusé entre le souverain et son peuple. Peut-être qu’il ne prétendait même pas être si différent du commun des mortels...


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Boheoja » par l’orchestre national de gukak.
  2. « Monts de renom » chanté par Yi Dong-kyu.
  3. « Yeominrak » par Son Han-byeol au daegeum.

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