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Il était une fois un certain Park Chun-jae, directeur d’une troupe de chanteurs et danseurs au sein de la cour royale de Joseon de la fin du XIXe siècle. Lui-même artiste, un excellent chanteur de pansori, il possédait un autre talent qui était très apprécié notamment par la famille royale : celui d’amuser les gens avec des « jaedam », des histoires drôles pleines d’esprit. En fait, un prince, une princesse ou encore une concubine du roi le faisait venir souvent, non pas pour l’écouter chanter, mais pour se divertir en compagnie d’un humoriste avant l’heure. Celui-ci aurait été un homme particulièrement précieux pour le jeune prince Youngchin, d’humeur mélancolique. En fait, selon une anecdote, dès que Son Altesse le voyait arriver, un sourire se dessinait déjà sur son visage.

 La colonisation de la péninsule coréenne par le Japon ayant mis fin à la monarchie de Joseon, Park perd son emploi, un poste qui était assez prestigieux, et se produit devant les gens du peuple pour gagner sa vie. Un jour, en cherchant sans doute un moyen pour gagner en popularité, il a eu l’idée de combiner ses deux talents : pourquoi ne pas raconter une histoire drôle de façon à la chanter ? Il devient ainsi l’inventeur d’une nouvelle forme de gukak, le « jaedamsori », qui fait de lui une star auprès des Coréens du début du XXe siècle, les consommateurs de produits culturels ayant l’habitude de rechercher la nouveauté.

Plusieurs productions de ce chanteur-humoriste ont bénéficié de l’invention du phonographe pour parvenir jusqu’à nos jours, quoiqu’elles ne soient pas en bon état. L’une d’entre elles a récemment été reprise par le jeune chanteur Jeon Byeong-hun. Il s’agit de « Jérémiade d’un chien mort ».

Dans ce récit chanté, nous avons affaire à un chaman possédé par l’esprit d’un chien mort. « Qui êtes-vous ? » demande-t-il à l’âme qui vient de s’emparer de lui et qui dit : « Ca y est ! Je suis entièrement en toi. » Réponse de l’être invisible : « Je suis celui qui, comme tout le monde, était convaincu de survivre à tous les autres. » Un chien qui rêvait donc d’une vie éternelle. Le public éclate de rire. Il apprécie sans doute le trait d’esprit consistant, d’une certaine manière, à se moquer du désir d’immortalité chez plus d’un homme.

 Le dialogue entre le chaman et l’esprit nous apprend qu’à l’époque où vivait l’auteur de ce « jaedamsori », le chien était tout simplement un animal domestique, et pas encore un animal de compagnie. L’esprit jérémiade effectivement sur le mauvais traitement qu’il a reçu de son vivant. Il se plaint en particulier d’avoir été mal nourri. Il dit : « On ne me donnait tout le temps que le reste du repas, le riz à moitié brûlé. » Puis, il ajoute : « J’avais envie de manger, comme mon maître, parfois à la chinoise, à la japonaise ou encore à l’occidentale. » Eclat de rire des spectateurs. Ils sont amenés à mettre en doute le bien-fondé des plaintes du chien. Celui-ci n’a peut-être pas été si mal traité, en tout cas, pas autant qu’il le prétend.


 Le « jaedamsori », une invention d’un seul homme certes, ne semble toutefois pas avoir été créé de toutes pièces. Son inventeur Park Chun-jae n’ignorait certainement pas que le répertoire du gukak comportait beaucoup de chants humoristiques, souvent avec des mots d’esprit. En voici un, « Le Chant du chien », dans lequel cet animal, un chien de garde pour être précis, est prié de ne pas aboyer à un visiteur discret la nuit. En fait, il s’agit en réalité d’une chanson d’amour qui met en scène une femme ayant donné rendez-vous à son amant, un rendez-vous qui doit se dérouler à l’insu de ses voisins...


On peut aussi évoquer une parenté entre le jaedamsori et le pansori. Tous les numéros de cet opéra coréen, qu’il s’agisse d’une comédie ou d’une tragédie, comportent effectivement des passages ayant visiblement pour but de provoquer le rire des spectateurs. Dans le « Chant de Shimchung » par exemple, juste après une scène tragique, celle de la séparation du père et de la fille, intervient un personnage burlesque, la mère de Paengdeok, une veuve, qui cherche à abuser le père de Shimchung, un non-voyant, doté d’une fortune grâce au sacrifice de sa fille. Une série de boutades est alors invoquée pour accuser et railler cette femme méchante, des mots d’esprit qui rendent les spectateurs joyeux.

 Un fou rire dans la salle, s’agissant cette fois d’un passage du « Chant de Heungbu ». Nolbu, le frère aîné de Heungbu, un homme méchant, jaloux et cupide, est victime d’un trou de mémoire : il ne se souvient plus du nom d’un meuble de luxe dont il a forcé son petit frère à lui faire cadeau. Pour être plus précis, il ne se souvient que de « jang », la dernière des trois syllabes composant ce nom. En essayant de retrouver les deux syllabes manquantes, il invoque une série de mots finissant par « jang ». Il n’en finira jamais, car il ne s’agit que de noms de sauces coréennes, « ganjang », « doenjang », « gochujang », qui sont innombrables...


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Jérémiade d’un chien mort » par Jeon Byeong-hun.
  2. « Le Chant du chien » par Oh Bok-nyeo, Shin Jeongae et Yu Ji-sook.
  3. Un extrait du « Chant de Heungbu » par Park Dong-jin.

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