Aller au menu Aller à la page
Go Top
L’attente

Rappelons que nous vivons en multipliant les attentes. Prenons l’exemple d’un salarié. Le matin, il attend le métro ou un bus pour aller au travail. A midi, dans un restaurant, il attend que son repas commandé arrive. L’après-midi, simple employé qu’il est, comme il ne fait donc qu’exécuter l’ordre de son supérieur, il s’ennuie et attend la fin de sa journée au travail. Le soir, le voici qui attend un ami dans un café ou un bar. Que les deux personnes, qui se sont donné rendez-vous arrivent en même temps, cela ne se fait que très rarement. L’une attend ou fait attendre l’autre.


Comme tout actif occupé, notre salarié attend le week-end, les vacances, les fêtes joyeuses inscrites ou non sur le calendrier. Il peut attendre aussi une promotion, une augmentation, une rencontre amoureuse s’il est célibataire, la naissance d’un enfant s’il est marié depuis peu. Et comme tout le monde, il attend un avenir meilleur.


Alors que notre vie est d’une certaine manière une succession d’attentes, celles-ci auraient été particulièrement éprouvantes pour les femmes de Joseon vivant dans une société phallocratique. Sans avoir le droit de prendre l’initiative, que ce soit dans une moindre affaire, elles ne pouvaient qu’attendre la décision d’un homme. Une jeune fille, à l’âge de quitter la maison paternelle, attend que son père lui choisisse un mari. Une femme, qui sait que son conjoint la trompe, n’a pas d’autre choix que d’attendre qu’il mette fin à son aventure passionnelle et revienne vers elle. Si elle a un enfant mâle, elle attend qu’il devienne adulte pour protéger sa mère. Est-ce par hasard si l’attente constitue un  des thèmes principal de la poésie féminine de l’époque Joseon ?


L’un de ces poèmes, qui nous est parvenu sous forme d’un « gagok », « chant lyrique », décrit de façon à la fois simple et admirable la fin d’une épreuve. Une femme, qui est rongée d’impatience dans l’attente de son homme, finit par sortir dans la cour. Tout est plongé dans le noir. Soudain les aboiements d’un chien. La femme scrute l’obscurité. Une ombre s’approche. Aucun doute, c’est lui.


L’héroïne d’un célèbre numéro de pansori, Chunhyang, est elle aussi mise à l’épreuve d’une attente. Au moment où son fiancé devait la quitter pour aller faire ses études dans la capitale, elle l’a supplié de l’emmener avec lui. Mais en vain. En fait, comment un jeune garçon, issu de la noblesse et bien élevé, pouvait-il songer à vivre en concubinage avec la fille d’une ancienne geisha, même s’il était éperdument amoureux d’elle ? « Je reviendrai et t’épouserai », a-t-il promis à Chunhyang. Celle-ci ne peut que croire à cette promesse et attendre le retour de son fiancé.


Mais quand les retrouvailles vont-elles se réaliser ? Une attente est encore plus pénible que la date de sa fin demeure indéterminée. Par ailleurs, le jeune noble installé dans la cité royale ne donne pas de nouvelle à sa fiancée. A l’impatience de Chunhyang, s’ajoute alors un doute : « M’a-t-il oubliée ? » Elle finit par songer à aller le rejoindre et chante :


Peut-être que je vais tenter d’y aller

Parcourant mille lieues, dix mille lieues qui nous séparent

Passant le col où le faucon, les nuages, même le vent

S’arrêtent à bout de souffle


Chunhyang, ce personnage vivant dans la société de Joseon, est une femme d’exception. De souche plus que modeste, elle a osé séduire un jeune noble. Elle a aussi songé à écourter une attente interminable, à faire et non subir son destin. Une idée pareille n’aurait pas effleuré d’autres femmes de Joseon.


S’agissant cette fois d’un personnage réel, une femme qui a également vécu dans le royaume de Joseon, la poétesse Yi Ok-bong faisait figure d’exception autant que Chunyang, sans toutefois se révolter à une attente à laquelle elle était elle aussi condamnée.


Fille naturelle d’un noble et réputée parmi les mondains pour son talent en matière de poésie, c’est grâce à ce don qu’elle a conquis le cœur d’un aristocrate, un certain Cho Won, qui, hélas pour elle, était déjà marié. Il n’était toutefois pas question pour elle de renoncer à sa passion. Elle était prête à devenir sa concubine, en espérant sans doute, peut-être même en étant sûre que son compagnon la chérira davantage que son épouse officielle. Mais voilà qu’au moment de contracter le concubinage, Cho Won posa une condition : que sa compagne s’engage à ne plus rendre publics ses poèmes. Autrement dit, il veut que si elle écrit, elle écrive pour lui seul. Quel désir de possession !


Il arrive à notre poétesse de contrevenir à cet engagement par pitié pour sa voisine qui avait besoin de son poème comme cadeau à faire au gouverneur de sa ville, un grand amateur de poésie et le seul homme qui puisse sauver son mari victime d’une injustice. L’administrateur a vanté son cadeau. Le glas a sonné pour le couple uni sur un engagement absurde. La pauvre femme délaissée par son compagnon attend qu’il revienne sur cette rupture unilatérale et fait appel à la poésie pour se consoler de son attente interminable :


L’homme qui ne me revient que dans mon rêve

Laisse-t-il une trace de son passage

Les gravillons couvrant le pas de la porte

Auraient été transformé à moitié en sables


Liste des mélodies de cette semaine

  1. « Epreuve d’attente » chanté par Park Min-hee.
  2. « Chant de séparation » chanté par Kim Jun-su.
  3. « Chant de chagrin » par Kim Mu-bin.

Contenus recommandés

Close

Notre site utilise des cookies et d'autres techniques pour offrir une meilleure qualité de services. En continuant à visiter le site, vous acceptez l'usage de ces techniques et notre politique. Voir en détail >