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Cinéma & dramas

Briser la glace avec « Another Way »

2017-01-18

Séoul au jour le jour

Le suicide reste l'un des grands fléaux du pays du Matin clair. De nombreux films abordent ce sujet. Cette fois, voici « Another Way », une oeuvre qui tente de montrer le contexte qui pousse ces jeunes et moins jeunes à désespérer de la vie. Il est signé par Cho Chang-ho, qui tente là un retour en tant que cinéaste indépendant. Ce dernier est épaulé par le prince du « Coffee Prince » Kim Jae-wook et Seo Yea-ji qu’on voit en ce moment dans le feuilleton de la KBS, « Hwarang ».

* Une misère économique et psychologique insupportable
La première partie de ce drame donne la misère économique et ses conséquences psychologiques comme les principales causes qui poussent les deux héros du film vers la tentative de suicide. Les deux ont un passif familial qui les plonge dans une situation économique et une douleur psychologique inextricables : la mère de Seo Yea-ji est paralysée, et elle doit vivoter en faisant des animations ridicules dans les supermarchés et les mariages. Le sémillant, Kim Jae-wook, a un père handicapé et à demi-fou, et il doit vivoter en tant qu'agent de la circulation. Sa copine ne s’intéresse plus à lui, et il laisse passer un pauvre bougre saoul qui finit par commettre un accident. Il est alors non seulement réprimandé mais doit aussi payer une grande partie des frais de l'hospitalisation de la victime du saoulard. Conte de fée à rebours, les deux désespérés se rencontrent sur Internet et décident de se suicider ensemble à Chuncheon.

* Naturalisme et réalisme de glace
Le film parie gros sur le naturalisme et le réalisme non seulement pour ses longs plans statiques mais aussi par un choix de moments particulièrement concrets. Certaines scènes pourront faire date, comme celles de Seo Yea-ji obligée de danser jusqu'à la nuit avec ses collègues devant un restaurant pour vendre des soupes de « grand-mères », entrecoupée par la pause café des jeunes filles en mini-jupes et frous-frous dans un réduit sordide. Anthologique aussi la scène où Kim Jae-wook écoutant sidéré le chauffeur lui expliquer pourquoi il a bu en pensant à sa vie misérable, à ses problèmes d'argent et aussi à ce qui l'attend si la police lui enlève son permis. La trouvaille qui fait le mieux entrer la nature dans le jeu des misères du monde est celle du fleuve Han glacé où se retrouvent le jeune homme et son ex-copine. Cette dernière traverse l'immense fleuve de glace en disant qu'elle connaît bien le chemin. Cela rappelle de vieilles photos de la guerre de Corée. Beaucoup aujourd'hui ont oublié que cela était possible mais toujours dangereux. La glace revient encore dans le choix du lac gelé de Chuncheon comme l’un des lieux candidats pour le suicide des deux héros. De nos jours, la pêche à travers la glace attire les touristes à Chuncheon. Dans le film, la glace est l'image de l'indifférence de la société et du monde vis-à-vis du traumatisme individuel des personnages. Kim Jae-wook finit d'ailleurs par se venger sur un bonhomme de neige, se sortant enfin – juste avant de tomber dans l'eau glacée - de la passivité dans laquelle le fatalisme social dominant l'avait cloîtré.

* Cho Chang-ho et le cinéma indépendant
S'il fallait placer ce film de Cho Chang-ho dans la palette du cinéma sud-coréen, on le rapprocherait aisément des films de Jeon Soo-il. « With a Girl of the Black Soil », par exemple, pour l'esthétique de la glace et de la neige et des paysages hivernaux mais aussi « El Condor Pasa » et le récent « A Korean in Paris » pour le somnambulisme désespéré des personnages et une représentation traumatique de la sexualité (même si, à la différence de Jeon, Cho a tendance à choisir de belles frimousses peu réalistes dans le contexte).

Le réalisateur de « Another way » a commencé comme assistant de la génération post-dictature notamment Kim Ki-duk, Im Soon-rye et Byun Hyok. Avec leur aide et un budget conséquent assuré par une distribution de CJ Entertainment, il sort son premier film « Peter Pan Formula » en 2006. Le film, qui est déjà une histoire de famille meurtrie et de suicide, ne passe pas inaperçu : il est invité au festival de Sundance mais il est loin de faire les entrées escomptées. L'année suivante, il sort en indépendant un omnibus « Fantastic Parasuicides » suivi de « Love Vanished » avec la vedette Kim Nam-gil.

Probablement écarté par les gros distributeurs pour les faibles scores au box-office de ses films, Cho Chang-ho tente désormais un retour en tant qu'indépendant tout en restant toujours attaché à ses thèmes nihilistes et à une esthétique de la non-action traumatique. Ce faisant, il se confronte aux puissants monopoles des salles et des distributions qui privent le cinéma indépendant sud-coréen de public. Pour se consoler « Another Way » a déjà eu les honneurs d'une projection au festival de Vesoul en France, et ce n'est déjà pas si mal.

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