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L’île des dieux
Voici un surnom assez peu connu de Jeju, province insulaire de la Corée : l’île des dieux. Autant dire que là, la croyance populaire l’emporte traditionnellement sur n’importe quelle doctrine religieuse, notamment monothéiste. Dieu est partout pour les îliens, non pas parce qu’il est omniprésent, mais parce que les divinités sont partout. Celle qui est couronnée de nuages blancs au mont Halla, une autre que les marins-pêcheurs ne manquent pas d’amadouer par le chant et la danse avant de prendre le large, encore une autre dont dépend la fécondité des femmes mariées ainsi que celle des champs qu’elles labourent seules en absence de leur mari ayant affaire à la mer, et bien d’autres encore.

Notons aussi que chaque milieu professionnel a sa divinité à vénérer. Yeongdeung par exemple, dieu-semeur auquel est dédié une cérémonie chamanique au deuxième mois lunaire chaque année. Divinité de l’agriculture ? Eh bien, non. C’est un dieu vénéré par les « haenyeo », les plongeuses en apnée qu’on ne voit nulle part ailleurs qu’à Jeju. Grand promeneur, il est censé faire le tour de l’île et semer les graines des fruits de mer dans les eaux côtières. Qu’il soit généreux pour que la récolte des « haenyeo » soit fructueuse !

Dans certaines des cérémonies chamaniques célébrées à différentes occasions à Jeju, il arrive au chaman de citer une longue liste de dieux en racontant leurs origines. Ce récit dit « bonpuli », « explication sur l’origine du monde », est en effet une véritable cosmogonie, quoique son originalité pâlit un peu du fait que certaines divinités sont empruntées à d’autres mythologies, l’Empereur de jade par exemple, un dieu chinois d’origine taoïste.

Il s’agit ensuite pour le chaman de faire appel à la puissance de ces divinités pour chasser les esprits maléfiques. Ceux-ci, souvent des âmes de défunts n’ayant pu trouver le repos même dans l’au-delà selon l’imagination des gens qui les redoutent, chercheraient à venger le malheur ou l’infortune qui leur est arrivé de leur vivant. L’un se plaint d’avoir été frappé par la mort prématurée. N’ayant jamais pu se marier, il rôde autour des jeunes filles et cherche à posséder l’une d’entre elles. Un autre a été victime d’une injustice. Encore un autre a trouvé la mort dans un accident bête.

Il semble que la liste se soit allongée au fil du temps, car un cas particulier faisant référence à une page d’histoire contemporaine y figure. Il s’agit d’une victime de la Guerre du Pacifique, l’ensemble des opérations militaires menées sur les fronts est-asiatique et océanien de la Seconde Guerre mondiale. Le malheureux pouvait se trouver parmi les Coréens originaires de Jeju qui ont été réquisitionnés par l’armée impériale du Japon, dont beaucoup ont péri dans un coin du Pacifique...

Quant à un autre rituel chamanique de Jeju, également animé par une musique, il est très particulier, d’autant que c’est une manifestation, peut-être unique, exprimant l’hostilité à l’égard des oiseaux. On l’appelle « saedorim », ce qui veut dire « faire fuir les oiseaux ». Mais pourquoi vouloir du mal à cet animal ? Les moineaux becquettent les grains de riz avant la récolte. Oui, mais on ne pratique pas la riziculture à Jeju, une île volcanique dont le sol est recouvert de basalte. Les îliens ont-ils le souvenir affreux du film d’Alfred Hitchcock, « Les Oiseaux » ? Mais le « saedorim » est un rituel qui remonte avant l’invention du cinéma.

 Dans le chamanisme, ainsi que dans d’autres croyances populaires, l’oiseau est un messager du Ciel, chargé notamment de prévenir l’humanité par son gazouillement d’une catastrophe naturelle. Sur l’île de Jeju demeurée encore sauvage, ce genre de désastre était presque aussi fréquent que d’entendre les oiseaux chanter. Les insulaires auraient aimé qu’ils se taisent, et ce d’autant plus que même s’il s’agissait d’un avertissement, ils ne pouvaient rien faire contre tout événement funeste. Il se peut qu’énervés, ils ont fini par croire que le chant d’oiseau était porteur de malheur. Il leur fallait alors les éloigner pour une durée assez longue, faute de pouvoir les faire disparaître. Cela ne pouvait se réaliser que grâce au rituel chamanique « saedorim ».

Un groupe de musiciens, Chudahye Chagis, s’est inspiré de cette cérémonie chamanique pour produire un chant dont le titre est comme une équation : « Sae égal sa ». « Sae » est un mot coréen désignant l’oiseau ; « sa », un mot d’origine chinois, quant à lui, signifie « maléfique ».

Liste des mélodies de la semaine
1. « Chant de Seowooje » chanté par Aengbi.
2. « Pudaji » chanté par Gang Sun-seon.
3. « Sae égal sa » chanté par Chudahye Chagis.

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