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Une cadence et ses effets
« Mais où puis-je donc trouver un lapin ? » En bas d’une montagne, la tortue, le protagoniste du numéro de pansori « Sungungga », se trouve désespérée. Elle finit par penser faire venir cet animal au lieu d’aller à sa rencontre. Elle crie alors de toutes ses forces : « Monsieur Ho ! ». Tiens ! Il lui fallait dire « to » et non « ho », « to » comme « toki », le « lapin » en coréen. Peut-être qu’épuisée après son long voyage depuis qu’elle a quitté la mer, elle n’était plus capable de prononcer la consonne forte.

« Qui m’appelle ? » se demande M. Ho, « ho » comme « horangi », le « tigre » en coréen. Ravi du terme « monsieur », il descend alors la montagne à la rencontre d’un inconnu courtois :

Des tâches bariolées sur la peau
Balançant une tête de ver à soie
Traînant une grosse corde
Deux tubes à flèches en avant
Deux étuis pour arc en arrière
Le voilà qui descend

Ce qui est intéressant en particulier dans ce morceau, c’est la cadence. Il s’agit de ce qui s’appelle « eotmori », un rythme très particulier et propre au gukak. C’est une cadence composée de dix battements qui sont divisés en deux. En voici le type de base : dung takung / kung takung. Notons que la ponctuation musicale en la matière est aussi variée que le sens du mot « oet ».

« Oet » comme préfixe marquant l’idée de « dérivé » donne l’impression que la suite de sons déraille. « Oet » toujours comme préfixe marquant cette fois l’idée de « désaccord » laisse penser que l’harmonie musicale est cassée. Et enfin « oet » comme marquant l’étonnement ou la surprise. On voit pourquoi la cadence « oetmori » est utilisée dans le passage de « Sugungga » cité ci-dessus. Quelle surprise pour une tortue de voir un animal féroce descendre la montagne, alors qu’elle s’attendait à l’apparition d’un petit lapin !

Auxiliaire de la narration dans le récit chanté qu’est le pansori, cette cadence très particulière rend service au chanteur pour produire différents effets souhaités sur le public : suspense, étonnement, coup de théâtre... Imaginez par exemple un non-voyant marchant sur un pont en rondins sans balustrade. C’est un passage du « Chant de Simcheong » ponctué bien évidemment par la cadence « oetmori ».

Alors que pour les francophones, on traduit d’habitude « oetmori » en « cadence décalée », on peut aussi l’appeler « cadence à contre-pied ». Autant dire qu’il s’agit d’un rythme qui va à l’encontre d’une attente ou d’une prévision. Le public à l’écoute d’une pièce de musique ponctuée de cette façon est incessamment surpris. Surprise agréable, s’il savait tourner en dérision son anticipation. En fait, il arrive parfois à un joueur de tennis pris à contre-pied de se moquer de lui-même avec un sourire et d’apprécier le coup de son adversaire.

La cadence « oetmori » semble nous rappeler que la vie se déroule souvent à l’encontre de notre anticipation, qu’il ne s’agit ni de trop espérer, ni de trop désespérer. Voici, dans le numéro de pansori « Heungbuga », un couple extrêmement pauvre avec de nombreux enfants qui est dans l’impossibilité de se projeter dans l’avenir autrement que dans une perspective noire. Au crépuscule qui les désole d’autant plus qu’ils sont persuadés que demain sera pire qu’aujourd’hui, ils voient un moine venir vers leur domicile. « Il se trompe de porte pour demander l’aumône », dit le mari en soupirant. Tout cela est chanté au rythme « oetmori ». Le public se rend compte alors que quelque chose se prépare. Une belle surprise pour le foyer désespéré...

Liste des mélodies de la semaine
1. « Voilà un tigre » chanté par Kim Jun-su.
2. « Trois byeolgok » avec Sung Geum-yeon au gayageum.
3. Un extrait de « Heungbuga » chanté par Kim Yul-hee.

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