Devancer son époque

Un livre intitulé « Wuseo », ou « Livre oblique », a été écrit en 1737, soit la 13e année du règne du roi Yeongjo de la dynastie Joseon. En comparant la civilisation et la culture de la Corée à celles de la Chine, l’ouvrage propose des réformes systémiques dans les domaines de la politique, de l’économie, de la société et de la culture du royaume. Selon l’auteur, si une nation est pauvre, c’est parce que son peuple a d’autres soucis que son travail. Pour remédier à cette situation, il serait nécessaire d’abolir le système de classes sociales et de permettre aux individus de travailler en fonction de leurs compétences. Ce livre constitue un matériau précieux pour étudier la philosophie majeure de la deuxième moitié de la dynastie, baptisée « silhak », ou sciences pratiques. Mais qui est donc l’auteur de ce livre qui a devancé son époque ?

Surmonter son handicap physique

« Bien qu’il soit sourd, le gouverneur de Danyang Yu Su-won est un excellent écrivain. Il a rédigé un livre dans lequel il propose divers projets pour le royaume. »
- Annales du roi Yeongjo, le 24 octobre 1737

C’est ainsi que les ministres présentent Yu Su-won au roi Yeongjo, lorsque ce dernier leur ordonne de lui recommander des gens de talent. Après avoir lu le livre en question, le souverain souhaite parler avec l’auteur, mais ce dernier est incapable de répondre à ses questions parce qu’il est sourd-muet. Ainsi le roi et Yu Su-won correspondent par écrit. Cet épisode figure dans les annales de Yeongjo.

Yu Su-won est né en 1694 à Chungju, dans la province de Chungcheong du Nord. Ses noms de plume « Nongam » et « Nonggaek » font allusion à son déficit auditif. Il entre dans la fonction publique à l’âge de 25 ans, et c’est à l’âge de 40 ans qu’il écrit le fameux livre « Wuseo ».

Le savant sourd souffre aussi de plusieurs maladies, mais c’est avec ardeur qu’il entreprend la rédaction du livre. Il tentera d’y faire figurer toutes les expériences qu’il a connues au cours de sa carrière.

Le commerce et l’industrie d’abord

« Wuseo » propose des réformes du système étatique et des mesures à prendre pour que la nation devienne riche et puissante. Mettant l’accent sur le fait que la plupart des paysans sont pauvres, Yu déclare que la tâche la plus urgente est l’abolition du système de castes.

Le livre souligne également l’importance du commerce et de l’industrie. Il suggère que les lettrés, qui ne passent leurs temps qu’à lire et à écrire, travaillent dans le commerce ou l’industrie afin que tout le monde soit traité de manière égale.

En ce qui concerne l’agriculture, Yu dit qu’il est important de développer les technologies qui permettront d’améliorer la productivité, plutôt que d’étendre à l’extrême les zones d’exploitation agricoles.

Il propose également que les riches marchands contribuent au développement des communautés locales en investissant par exemple dans la construction d’un pont ou d’une école, tout comme les grandes entreprises de notre époque sont encouragées à s’engager dans des projets sociaux.

S’habiller, manger, vivre dans l’abondance et le bonheur

Dans son livre, Yu utilise le terme « iyonghusaeng » pour expliquer le sens d’une économie prospère qui permet au peuple de s’habiller, manger et vivre dans l’abondance et le bonheur. L’Etat a donc pour devoir de créer un environnement approprié pour que les individus s’acquittent volontairement de leurs fonctions et de leurs responsabilités.

Il souligne par ailleurs la nécessité d’enrichir le pays. L’idée d’accroître la « richesse nationale » prônée par Yu sera reprise par les savants du silhak tels que Park Ji-won, Park Je-ga et Hong Dae-yong pour devenir ainsi l’une des philosophies majeures de la deuxième moitié de la dynastie Joseon.

Sur la base unique de ses expériences en tant que fonctionnaire, Yu parvient à analyser les problèmes de la société coréenne et à proposer des moyens pour améliorer les finances publiques et pour aider le peuple à vivre confortablement.

Malheureusement, Yu sera victime de conflits au sein de factions politiques et connaîtra une fin misérable. Mais aujourd’hui encore, ce savant qui a surmonté son handicap physique et proposé une nouvelle vision du futur est hautement respecté.