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Cinéma & dramas

Obaltan : classique tragique de 1961

2022-02-16

Séoul au jour le jour


Bonsoir à toutes et à tous.  Dans notre série consacrée aux films qui ont marqué l'histoire du cinéma sud-coréen, nous enchaînons avec « Obaltan » de Yu Hyun-mok. Ce film est longtemps resté élu par les sud-Coréens comme le meilleur film de leur cinéma national. Réalisé en pleine « Révolution des étudiants » d'avril 1960, il témoigne encore aujourd'hui d'un sommet et des limites du néo-réalisme à la manière coréenne. Que de mésaventures pour un chef-d’œuvre longtemps resté tabou. C'est ce que nous allons voir.


* Le contexte révolutionnaire

Depuis 1948, le président Rhee Syngman ne cesse de renforcer son pouvoir autoritaire. A la veille des élections de 1960, l'exécution de Cho Bong-ram et l'assassinat de Cho Pyong-ok, deux leaders d'opposition déclenchent de grosses manifestations anti-gouvernementales. Le meurtre par la police du lycéen Kim Ju-yul est la goutte qui fait déborder le vase. Les affrontements avec la police font plus de 180 morts. La CIA décide l'extraction d'urgence du président, remplacé momentanément pour Yun Posun. C'est dans ce contexte que le jeune Yu Hyun-mok tourne « Obaltan », avec très peu de moyens et au milieu des grèves et des manifestations. Mais c'est cette imbrication néo-réaliste à l'italienne que le réalisateur cherche pour témoigner de la situation du pays presque en direct. Il va, par exemple, intégrer une manif d'ouvriers demandant la hausse des salaires, le corps d'une mère pendue avec son bébé sous la passerelle de Cheonggyecheon en plein milieu d'une course-poursuite entre les flics et le héros.


* Lutte des classes et existentialisme

C'est donc l'histoire de deux frères dans une famille migrante du Nord réfugiée dans les taudis de Séoul. L'un tente de s'insérer et travaille pour un salaire misérable alors qu'autour de lui la bourgeoisie s'enrichit ; l'autre frère refuse la nouvelle donne sociale et préfère mourir en tentant le hold-up désespéré d'une banque. Cette histoire de famille pauvre aurait pu tourner au mélo larmoyant, mais Yu évite le fatalisme en montrant clairement les causes sociales de la misère. Il introduit également une auto-réflexion très moderne avec un personnage de poète suicidaire et une liaison entre une actrice et l'un des frères. Ce faisant, il évoque le rôle du cinéma et des artistes : illusion ou ouverture sur des possibles ? Le film touche à la limite de la représentation quand le frère refuse d'interpréter son propre rôle de vétéran de la guerre. Camus et l'existentialisme semble hanter les personnages quand Yu met dans la bouche du frère condamné à mort une citation de « L'Etranger » ou lorsqu'il fait dire à l'autre frère mourant dans un taxi qu'il est comme une balle perdue abandonnée des dieux et brimé par la société. Car cet existentialisme, Yu n'oublie pas de l'acclimater au contexte néo-confucianiste, en égrainant par l'intermédiaire du mourant (d'une rage de dent) la longue liste des rôles sociaux qui quadrillent la société coréenne.



* Du style

Au niveau du style, ce qui frappe est moins l'influence des maîtres de Yu que sont Robert Bresson et Mizoguchi Kenji, que celle des maîtres italiens comme Rossellini et De Sica (le mouvement de caméra lorsque le frère et la sœur arrêtée pour prostitution se suivent en chien de faïence cite directement celui du père et du fils dans « Le Voleur de bicyclette » de De Sica). La caméra de Yu explore avant tout des lieux réels faisant fi de la qualité de l'image alors qu'à l'époque les films sud-coréens sont tournés en studio avec des images léchées. Le taudis de la famille comme les boutiques achalandées de Séoul sonorisées au jazz ou la buanderie aménagée en chambrette sur les toits pour l'amante d'un des frères resteront comme des témoignages visuels forts de l'époque.  



* Censure et coup d'Etat

« Obaltan » sort en salle avec succès en pleine instauration de la deuxième république de Corée... mais pour peu de temps. Le coup d'Etat du colonel Park Chung-hee stoppe net la diffusion du film. Park fait détruite les copies et convoque même Yu pour qu'il s'explique. Officiellement, on reproche au film le personnage de la vieille mère de la famille. Malade, elle ne cesse de gémir « Rentrons ! ». Les militaires demandent : rentrer où ? Au Nord ? Yu nie et explique qu'il s'agit d'une métaphore, il n'a aucune sympathie pour la dictature du Nord. En fait, il est probable que les militaires n'aient pas apprécié la noirceur du film ni la représentation déprimante des vétérans à la veille de la glorification de l'armée désormais au pouvoir et d'une campagne d'industrialisation à outrance du pays. Néanmoins, toutes les copies du film ne furent pas détruites. L'une d'entre elle avait été envoyée au festival de San Francisco. C'est cette copie dotée de sous-titres anglais gravés à la main directement sur la pellicule qui a survécu. Un négatif a finalement été réalisé lorsque l'interdiction du film fut abrogée après la chute de la dictature à la fin des années 1980. Mais le mal était fait. Les débuts du néo-réalisme à la sud-coréenne avaient avorté pour longtemps.

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