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Cinéma & dramas

Retour à Séoul ou vive le Soju !

2023-12-13

Séoul au jour le jour


Le film du franco-cambodgien Davy Chou, « Retour à Séoul », a fait couler beaucoup d'encre lors de sa sortie en 2022. Ce réalisateur s’était fait connaître, il y a dix ans, par son documentaire sur le méconnu cinéma cambodgien dont son oncle aurait été l'un des grands producteurs. Après un film de fiction au Cambodge en 2016 et soutenu par à peu près toutes les institutions officielles françaises et coréennes du cinéma, il semble qu'il se soit laissé tenter par un parallèle entre sa situation de Franco-cambodgien et celle d'une Coréenne adoptée, en pleine crise de croissance, à la recherche de repères dans sa vie. C'est ce que raconte « Retour à Séoul ». Découvrons-le à l’occasion de sa sortie sur Netflix.


* Un film référencé
On hésite à la vue de ce film, entre y voir le projet de producteurs français tentant de surfer sur la mode médiatique coréenne, un jeune cinéaste se posant des questions sur sa propre condition mais bien loin de l'histoire du Cambodge, et une actrice se demandant ce qu'elle est venue faire dans cette histoire. Car le genre du film d'enfants adoptés à la recherche de leurs familles – souvent qualifiés de parents biologiques – a déjà connu une multitude de films de fiction et documentaires. Pour la Corée du Sud et la France, la matrice se trouve dans le documentaire « Nos traces Silencieuses » (1998) de Sophie Bredier et Myriam Aziza. 

Bredier, Française d'origine coréenne, y met en accusation ses parents adoptifs à la manière des procès staliniens nord-coréens. Elle y fait même le grand écart en comparant une trace de brûlure de sa petite enfance (elle a été abandonnée à 4 ans) et celle d'un rescapé des camps de la mort nazis. Cela donnait le ton sur les divagations émotionnelles possibles autour du phénomène de l'abandon qui est minimisée au profit de la mise en accusation de l'adoption dans la péninsule, phénomène sensationnalisé de toutes parts mais peu étudié historiquement en profondeur. Bredier, après avoir renié ses parents adoptifs, n'a pu s'adapter à la Corée du Sud. C'est un peu le cas de l’héroïne de « Retour à Séoul ».


* Essentialisme contre existentialisme
Lorsqu'elle débarque à Séoul – à noter qu'elle est censée être originaire de Jeonju dans le sud-ouest, mais les producteurs ont sûrement trouvé Séoul plus branché – Freddy hésite entre céder à la pression sociale qui veut que son sang étant coréen, elle doit devenir Coréenne, et sa vie en France où elle s'est créée sa propre existence. Le film hésite aussi : si la jeune femme exulte à certains moments essayant – laborieusement – de soutenir son sentiment que c'est elle qui fait son existence et peu importe la couleur de son sang, elle est aussi dans les clichés de la tradition essentialiste et racialiste, quand elle ne peut échapper au culte de la famille en revoyant son père et sa mère dans des scènes larmoyantes – même si l'actrice Park Ji-min tente de résister au mélo vers lequel le film l'enferme. Surtout, c'est le ton général, la dépressive culpabilité (mais envers quoi?) qui reste dans la tradition identitaire sud-coréenne. Il faut noter que de moins en moins de pays revendiquent le droit du sol (l'Amérique du Nord et du Sud, notamment), beaucoup le mettent sous condition comme en Europe et en France en particulier. Et la norme générale est le droit du sang, vieille tradition que les révolutions sociales modernes n'ont pas réussi à éradiquer. 


* Portrait de femme
Le film est tout autant hésitant sur son portrait de femme asiatique. On retrouve les logiques conservatrices d'abord de la femme se voulant libre qui « forcément » est aussi une prostituée ; puis de l'asiatique sexualisée à la fois fascinante et traîtresse, vieux mythe de Salomé (voir les scènes obligatoires de danse effrénée sur musique pseudo rebelle et celles des night clubs aussi colorés que les maquillages et les baisers du beaux tatoueur ténébreux). Toutefois, le déterminisme économique de son attitude n'est pas gommé comme souvent, même si jamais le film ne lui en donne la conscience. 

On retrouve aussi une vieille tradition qui voudrait que les femmes ne soient que des réceptacles, des coquilles vides comme lorsque Freddy dit à son copain français qu’elle peut l'effacer de sa vie par un claquement de doigt. Cette impression de vide vient de choix esthétiques connus et risqués. Le premier est la focalisation permanente sur le visage de l’héroïne, souvent en gros plan. Bredier déjà s'en servait comme un baromètre émotif de la situation. Ici, l'action est peu décrite au profit du visage de Freddy, et des autres parfois. Le problème est que cette insistance finit par transformer son visage en masque derrière lequel il n'y aurait rien. 

L'autre gimmick esthétique est l'expression perplexe de l’héroïne et parfois d'autres comme son petit ami se faisant virer au moment où l'on attend une réaction : veut-elle retrouver sa mère ? Hésitation perplexe. Le copain encaisse-t-il bien son limogeage ? Hésitation perplexe. La super institution Hammond lui refuse sa demande ? Hésitation perplexe. Ficelle scénaristique, c'est aussi cette idée d'hésitation qui finalement est moins celle du personnage que celle d'un film qui, s’il tente d'éviter les clichés culturels habituels sur la Corée du Sud, ne lui substitue pas une autre vision assumée.

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