Buyeo, une ville touristique sud-coréenne, attire d’autant plus de visiteurs qu’en 2010, on a inauguré au bord du fleuve keum un immense musée en plein air avec pour but de faire connaître ce que fut cette ville à l’époque où elle était le siège de la cour royale de Baekjae, c’est-à-dire de 538 à 660. Les travaux, qui ont duré plus de 10 ans, ont reproduit entre autres le palais royal Sabi. En visitant ses différents appartements, un touriste averti ferait un voyage dans le temps pour imaginer les derniers jours du roi Euja dans cette demeure.

Ce jour en été 660, ce roi, qui sera finalement le dernier monarque du Baekjae, se sent seul plus que jamais. Ses sujets, qui remplissaient la salle d’audience, viennent de tous sortir. Tant mieux pour le roi. En effet, il préférait rester seul plutôt que d’être entouré de ceux qui étaient incapables de le réconforter face à une crise nationale, et dont le silence l’énervait. Mais quelle crise ? Son pays est menacé par la coalition du Shilla, un royaume voisin, et de la Chine. Son général, Kebaek, le meilleur du royaume, est parti au front avec ses 5 000 soldats pour faire face aux troupes du Shilla. Sera-t-il capable de repousser l’ennemi numériquement dix fois plus important que sa force armée ? Le visage du roi est d’autant plus sombre qu’une dépêche vient de lui apprendre que les troupes chinoises sont en train de remonter le fleuve Keum. Si elles parviennent à la capitale, ce sera la catastrophe, car il ne reste pas beaucoup de soldats autour du roi.

Euja regrette son ancien ministre Sungchung, qui le suppliait de mettre fin à sa débauche et de se préoccuper de la défense nationale. Qu’a-t-il fait de lui ? Il l’a jeté en prison et l’a laissé mourir de maladie. Il aurait dû écouter ses conseils. Avec son or et son argent, il fallait entretenir des soldats, et non des demoiselles d’honneur, 3 000 au total, aussi séduisantes les unes que les autres. Leur beauté ne sert à rien face à cette crise nationale.

Notre touriste fort imaginatif sort du palais royal Sani et regarde de l’autre côté du fleuve Keum. Il voit la falaise Nalhwaam, dont le nom signifie la « chute des fleurs ». Son imagination se remet alors en branle.



Le roi Euja vient d’apprendre deux nouvelles catastrophiques presque en même temps. Les bateaux transportant les soldats chinois ont mouillé le port Kibeolpo. L’ennemi du front ouest est donc à proximité de la capitale du Baekjae. D’après le messager, un miracle s’était toutefois produit. Les bateaux des envahisseurs ne pouvaient plus bouger au milieu de la rivière comme retenus par une force surnaturelle. Le commandant chinois, Xiao, s’est alors renseigné sur cet étrange phénomène. Un vieux riverain lui a expliqué que c’était sans doute le défunt monarque Mu, le père du roi Euja, devenu un dragon et demeurant dans le fleuve Keum, qui empêchait la navigation. Le général chinois a alors tué son cheval blanc pour s’en servir comme appât pour attraper le dragon. Et il a ainsi libéré ses navires. Voilà pourquoi l’aval du Keum va être surnommé le Baekmagang, la « rivière du Cheval blanc ».

« Et le général Kebaek et ses soldats ? » demande le roi à l’autre messager, qui vient d’arriver du front est. Celui-ci lui apprend qu’ils ont tous été tués sur le champ de bataille. Les sujets parlent alors de quitter la capitale, de s’installer dans la forteresse à Woonjin et de négocier avec les Chinois. Le roi accepte. Une précision : il ne va pas emmener ses courtisanes. En effet, ce n’est pas le moment de penser aux femmes. Une fois que les troupes chinoises sont entrées dans la capitale du Baekjae, ces 3 000 concubines du roi préfèrent mourir plutôt que d’être déshonorées par les soldats étrangers. Elles se dirigent toutes vers le Nakhwaam, là où leur souverain venaient jouir de la belle vue sur la rivière avec elles. Ces belles femmes se jettent l’une après l’autre dans le vide. Une chute des fleurs...