Dans les années 1980-1990 pendant lesquelles les hommes politiques sud-coréens s’assemblaient autour d’une personnalité plutôt qu’autour d’une idée, les noms de certains quartiers de Séoul désignaient par métonymie les clans politiques.
L’histoire politique sud-coréenne durant les deux dernières décennies du 20ème siècle est marquée par les trois Kim : Kim Young-sam, Kim Dae-jung et Kim Jong-pil. Les deux premiers, qui avaient été des dissidents sous le régime dictatorial de Park jeong-hee, ont été élus l’un après l’autre dans les années 1990 à la présidence de la Corée du Sud. Le dernier, qui n’a jamais pu satisfaire son ambition de devenir chef de l’Etat, a tout de même joué un rôle décisif pour que ces deux hommes prennent le pouvoir, ce qui lui a permis de faire une carrière politique non moins brillante qu’auparavant sous la présidence de ses deux anciens rivaux.
Ces trois Kim habitaient respectivement à Sangdo, à Dongkyo et à Cheongku. Et leurs clans étaient désignés par les noms de ces quartiers de Séoul. Sachez que deux d’entre eux, Kim Young-sam et Kim Jong-pil, y habitent toujours. Quant à Kim Dae-jung, il n’y est plus ; il est décédé en 2009. Quoiqu’il en soit, les médias sud-coréens n’évoquent pratiquement plus les noms de ces quartiers en parlant de la politique. Ce qu’on a appelé le « Temps des trois Kim », a définitivement pris fin. Avec ça, l’histoire politique sud-coréenne a tourné une page.
Au début des années 1980, juste après l’assassinat du président Park Jeong-hee, qui est resté au pouvoir pendant presque 20 ans, les sud-Coréens croyaient que leur pays allait enfin être démocratisé. Et ils estimaient qu’une fois une nouvelle constitution adoptée, ce serait l’un des trois Kim qui serait élu président de la république. Ces derniers venaient en effet de créer chacun un parti politique.
Mais les choses ont évolué tout autrement. Les généraux de l’armée nationale, qui, sous la protection de l’ex-président, un ancien général, ont pris goût au pouvoir, fomentent un putsch et instaurent à nouveau un régime militaire. L’un d’entre eux, le général Cheon Doo-hwan, est conduit à la présidence du pays grâce à la constitution du régime de Park à peine modifiée. Ce sont toujours les grands électeurs, au nombre de 5 000, qui élisent le chef de l’Etat, mais pour un mandat de cinq ans seulement et non renouvelable. Et cinq ans plus tard, Rho Tae-woo, qui était le compagnon de Cheon dans le putsch, lui succède au pouvoir. Pendant la présidence de ces deux hommes, le nom d’un quartier de Séoul revient alors aussi souvent que ceux des quartiers des trois Kim sous la plume des journalistes sud-coréens : Yeonhee. En effet, Cheon et Rho sont voisins dans ce quartier.
Est-ce par hasard que ces deux hommes, alors qu’ils étaient tous les deux officiers généraux, se sont installés dans ce quartier résidentiel à l’ouest de Séoul ? Ils avaient comme voisins un certain nombre d’officiers haut placés dans l’armée nationale. On pourrait dire alors que ceux qui se ressemblent s’assemblent.
Le quartier en question doit son nom à une résidence secondaire des monarques du Joseon, le Palais Yeonhee qui n’existe plus aujourd’hui. Son nom signifie le « bonheur prolongé ». Un roi prodigue de cette dynastie, un despote aussi, Yeonsan, demeurait souvent dans ce palais et y donnait un grand festin. Une réception à tel point opulente qu’un document historique a noté ceci : les fruits non consommés pendant le festin ont été jetés et les corbeaux qui venaient les picorer couvraient le ciel. Le chroniqueur Kim Ki-bin a été inspiré de cette remarque pour dire ceci dans son livre les Mystères des noms de lieu en Corée : « On sait à quel point les deux présidents voisins à Yeonhee ont profité de leur pouvoir pour leurs intérêts personnels. Les gens, qui s’assemblaient autour d’eux pour en tirer les leurs, rappelaient les corbeaux sur les fruits jetés autour du Palais Yeonhee... »