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Histoire

Dalraekogue

2011-02-15

Dalraekogue
Il y a dans toute la Corée du Sud une trentaine de cols qui s’appellent tous Dalraekogue. Il y en a un par exemple au sud de la capitale, par lequel passe l’autoroute Séoul-Busan. Que signifie Dalraekogue ? Mais pourquoi autant de cols ont-ils ce nom ?

Le « kogue », vous vous en souvenez, veut dire en coréen le « col » comme dans Miarikogue dont je vous ai parlé la semaine dernière. Reste donc à savoir ce que signifie « dalrae ».

Comme nom commun, le « dalrae » désigne l’ail sauvage. C’est une plante comestible largement répandue dans la péninsule coréenne. Dans le passé, les femmes à la campagne allaient en cueillir dans une montagne, un panier sous le bras et souvent en groupe. Il est possible qu’un col anonyme qu’elles passaient pour aller faire cette cueillette ait fini par s’appeler Dalraekogue. C’est ce qui explique pourquoi il y a autant de cols qui portent ce nom. Autrefois, il y en avait peut-être beaucoup plus, dont certains ont changé de nom au fil du temps.

Cela dit, il existe une légende qui explique l’origine du nom Dalraekogue sans préciser pour autant duquel il s’agit parmi de nombreux cols qui ont ce nom. Et selon cette légende, « dalrae » renverrait au verbe coréen « dalrada », à sa forme erronée « dalraeda » plus exactement, qui signifie « demander » ou « réclamer ». Qui demande quoi alors ?

Voici un frère et une sœur qui passent un col, impossible donc à localiser, mais qui s’appellera Dalraekogue. Ils sont très jeunes tous les deux. Le frère aime bien sa grande sœur. Celle-ci aime autant son petit frère. Cela se voit sur leurs visage réjouis de marcher côte à côte sur ce chemin où ils sont seuls. On ne sait trop où ils vont. Peut-être dans un village de l’autre côté du col pour une commission qui leur a été donnée par leurs parents.

Le voyage aurait été tout simplement agréable, si une averse ne les avait pas surpris. Comme il n’y avait aucun endroit où se mettre à l’abri, les deux jeunes sont complètement mouillés. Le petit frère rit d’abord de sa sœur trempée d’eau. Puis, il est soudain interdit face à la jeune fille dont le visage est en feu. En effet, sa robe mouillée laisse transparaître ses épaules et ses seins. La sœur se tourne et précipite ses pas. Le frère la suit à pas lourd, la tête baissée.

Quelques minutes plus tard, à entendre un cri de douleur aigu, la jeune fille regarde derrière elle. Son frère n’y est pas. Elle se précipite vers l’endroit où le cri est suivi de gémissement. Là, elle trouve son petit frère qui a mutilé son appareil sexuel de ses propres mains, avec une grosse pierre. Elle comprend tout de suite pourquoi il a fait cela : par un sentiment de culpabilité du désir qu’il a eu face à sa sœur mouillée de pluie et qui probablement le possédait toujours. Tenant dans ses bras son petit frère mourant, elle lamente alors : « Tu aurais pu au moins me le demander ! » « Dalraena boji » en coréen...

Il est bien sûr impossible que tous les cols, qui s’appellent Dalraekogue, aient été témoins de cet événement tragique pour avoir ce nom-là. L’événement en question aurait pu avoir lieu réellement sur un de ces cols. Ou peut-être qu’il s’agit d’une histoire inventée avec comme décor l’un d’entre eux. Cela importe peu. Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire, réelle ou inventée, s’est répandue un peu partout dans le pays et que les habitants de différentes communes se sont arrachés le nom du col dans cette histoire pour le donner à un col anonyme dans leur région. Autrement dit, ils ont fait leur la légende en question. Mais pourquoi ? Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une belle histoire.

L’histoire de ces frère et sœur n’est pas belle. Mais elle est émouvante. Et elle doit sa force d’émotion à l’image pieuse du jeune garçon qui a eu si honte de son désir. Or, il arrive à plus d’une personne de souffrir d’un désir interdit comme celui-là, souffrir d’un sentiment de culpabilité ou de frustration. Que ce soit de l’un ou de l’autre, la personne, qui en souffre, veut s’en libérer. Or, on connaît depuis Freud le rôle du récit dans cette délivrance, qu’il s’agisse de celui d’un patient qui subit une cure psychanalytique ou de celui d’un écrivain qui consiste à sublimer son désir interdit, ce qui serait le cas, si la légende de Dalraekogue était une histoire inventée. Vu le nombre de cols qui ont ce nom, il y a eu autant de gens qui ont aimé cette histoire, qui étaient possédés par un désir tabou et qui aspiraient à sa sublimation.

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