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Culture

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (2)

2016-08-25

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (2)
« Hôtel Plaza », nouvelle de Kim Mi-wol traduite du coréen par Lucie Angheben, Cho Eunbyul, Elisabeth Hofer, Gwénaëlle Pompilio et Shin Sun-mi avec le concours de Choi Mikyung et de Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nouvelles de Corée » paru aux éditions Magellan & Cie en 2016.

* Extrait :
La femme de notre narrateur dit qu'ils auraient dû aller à cet hôtel pendant la coupe du monde et qu'ils auraient pu voir la place devant la mairie envahie de supporters vêtus en rouge.

Pages 13 à 15 :
Devant la mairie ? Ah bon ? C'est quoi déjà le nom de l'hôtel ? J'ai baissé les yeux sur l'écran. Mais oui, c'est bien ça ! Je ne m'étais pas rendu compte en réservant. Cet immeuble imposant qui domine la place comme s'il veillait sur elle, et vers lequel on lève des yeux admiratifs chaque fois qu'on passe par là, c'est l'hôtel Plaza. J'en ai eu le souffle coupé. Il m'a semblé sentir la gifle du vent d'hiver et entendre tinter dans l'air limpide les clochettes de l'Armée de salut au-dessus des chaudrons destinés à récolter les dons.

Les aînés de l'université regardaient les nouveaux d'un air goguenard. Ce n'était même pas la cérémonie officielle de rentrée, juste une réunion d'information, mais il y en avait quand même trois qui portaient un costume. Trois qui venaient de province. J'avais honte d'afficher ainsi mes origines campagnardes, mais je gardais la tête haute, certain de porter le costume le plus cher.
Ce complet, c'est mon père qui me l'avait fait faire sur mesure chez le seul tailleur du coin quand il avait appris mon admission à l'université. Il avait quand même coûté trois cent mille wons, sans compter le gilet. Cela dit, c'est le costume d'un autre qui attirait le plus l'attention de nos aînés.
– Eh ben dis donc ! un Armani ! un vrai en plus !
– Y fait combien ? Deux millions ?
[...]
– Non, à peine plus d'un million.
[...] Des sapes de ce prix, c'était donc possible ? Et il y avait des gens pour se les offrir et les porter ? Et d'autres pour identifier la marque ? Ce n'est pas que j'étais jaloux, mais plutôt choqué. A ma grande surprise, nos aînés ne se sont pas montrés tendres avec ce rejeton d'une famille provinciale fortunée. Il y en a même un qui lui a reproché ouvertement d'acheter des vêtements de luxe alors que nous vivions une période aussi sombre, et que c'était une honte. Quant à moi, je n'en savais pas beaucoup plus sur les difficultés du temps que sur les grandes marques. En tout cas, voilà la première leçon que j'ai apprise dans ma nouvelle vie d'étudiant.
Ah ! Séoul était vraiment une ville surprenante.


Notre narrateur se dirige ensuite vers le resto U pour le déjeuner.

Pages 16 à 17 :
[...] Une fois assis, j'ai vu que j'étais tout seul au milieu de filles, il y en avait aussi bien en face de moi qu'à côté. Moi qui avais fait toute ma scolarité, au collège et au lycée, dans des écoles de garçons, où même les professeurs étaient des hommes, c'était la première fois depuis six ans que je me trouvais à moins d'un mètre d'une fille. Incapable de relever la tête ou même de savoir si la soupe était assez salée ou le riz trop collant, je restais sans rien dire. Dans ce silence total, on n'entendait que le bruit métallique des baguettes heurtant les assiettes ; je me faisais aussi discret que possible. Au bout d'un moment, la fille en face de moi a dit :
– Eh les gars, mangez pas les pousses de soja, elles sont aigres.
Je venais juste d'en enfourner une pleine bouchée. Mes yeux ont croisé ceux de la fille. Il fallait vite que je dise quelque chose, n'importe quoi.
– Ah moi je ne trouve pas, ça m'a l'air encore bon.
Et, sans bien savoir pourquoi, pas même pour étayer mon propos, j'ai tout avalé d'un coup. Tout de suite, les remarques ont fusé autour de la table : « C'est vrai que ça a un goût bizarre... », « J'ai bien vu que c'était pourri ! », « Quand j'ai goûté, j'ai tout recraché ! » Et merde !
– Dis, c'est la première fois que tu manges des pousses de soja ?
Malgré le ton plutôt froid de sa question, elle m'adressait un grand sourire. Soudain, je n'avais plus de force dans les doigts. C'était la première fois que je voyais une fille me sourire de si près. Son visage n'était pas plus gros que mon poing, elle avait la peau très blanche, les yeux très noirs et les lèvres très rouges. En somme, Blanche-Neige. [...] C'est ainsi que je l'ai rencontrée. [...]

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