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Culture

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (8)

2016-10-13

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (8)
« Hôtel Plaza », nouvelle de Kim Mi-wol traduite du coréen par Lucie Angheben, Cho Eunbyul, Elisabeth Hofer, Gwénaëlle Pompilio et Shin Sun-mi avec le concours de Choi Mikyung et de Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nouvelles de Corée » paru aux éditions Magellan & Cie en 2016.

* Extrait :
Notre narrateur achète un briquet jetable et revient devant l'hôtel pour afin de trouver un café glacé pour sa femme.

Pages 38 à 42 :
[...] Le feu pour piétons venant de passer au rouge, je me suis arrêté sur le trottoir.
De l'autre côté, juste en face de moi, un groupe de personnes en noir, sans parapluie, s'était assemblé sur la place de la mairie. C'étaient sans doute ces gens que j'avais remarqués un peu plus tôt depuis la fenêtre de notre chambre. Ils formaient une colonne grossièrement alignée, précédée de femmes en habits de deuil. A gauche du groupe, se tenait un homme dont le visage ne m'était pas inconnu, peut-être une figure de l'opposition ou un activiste. Et, derrière eux tous, prenant appui sur une canne, un prêtre âgé, en soutane et barbe blanche. De sa main libre, il tenait une banderole où, malgré la pluie, j'ai pu lire : « Que le président s'excuse auprès des familles des victimes et fasse la lumière sur le drame de Yongsan ! »
Le drame de Yongsan ? Cette affaire qui avait eu lieu au tout début de l'année ? Ce n'était toujours pas réglé ? Cinq ou six personnes avaient péri dans l'opération d'évacuation des immeubles. Je m'en souviens bien parce que, ma femme et moi, nous étions passés par hasard sur les lieux le soir même. Nous allions rendre visite à sa famille à Ichon-dong, c'était sur notre route. Les abords de la gare de Shin-Yongsan étaient complètement bloqués à cause des cars de la police, des CRS en armes et des journalistes. Dans notre voiture coincée dans l'embouteillage, ma femme ne cessait de répéter : « Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? » Je ne savais pas si elle parlait de ce qui était en train de se passer ou du bouchon. [...]
La grande horloge de la mairie marquait 17h30. Les femmes en tenue de deuil se sont soudain agenouillées et prosternées. L'homme qui me semblait être une personnalité politique, le prêtre à la barbe blanche et six ou sept autres personnes se sont avancés ensemble : trois pas en avant suivis d'une prosternation, de nouveau trois pas puis prosternation, etc. Ils effectuaient le Sam Bo Il Bae, rite bouddhiste de pénitence couramment utilisé de nos jours dans les manifestations pacifiques.
Le feu est passé au vert. Le ciel s'est convulsé, il s'est mis à pleuvoir à verse. Le vent me giflait par rafales. J'avançais tout en me débattant avec mon parapluie qui se retournait sans cesse. J'avais du mal à voir devant moi à cause des trombes d'eau. Quelqu'un a proposé des imperméables aux femmes en noir, mais elles les ont refusés. Sous la pluie torrentielle, sans parapluie ni imperméable, tous poursuivaient leur tour de la place, trois pas en avant, une prosternation... Spectacle pitoyable : ils étaient fort peu à manifester, et les curieux qui les regardaient, encore moins nombreux. Parvenu au milieu du passage pour piétons, j'ai fait demi-tour. Avec un temps pareil, pas question d'aller jusqu'au Coffee Bean. Et puis, elle n'était pas trop difficile en matière de café, celui du Dunkin' à côté du palais Deoksu ferait l'affaire.
[...] En retrouvant le confort du hall, j'ai eu l'impression de rentrer à la maison. Si dehors il faisait affreusement chaud et humide, ici la fraîcheur m'a arraché un petit cri de bien-être. La porte de l'ascenseur s'est refermée. Seul, n'ayant plus qu'à attendre, j'ai soupiré. Au moment où je sortais de l'ascenseur au seizième étage, je me suis rendu compte que je n'avais plus le café à la main. Je l'avais posé un instant pour m'éponger et je l'avais complètement oublié. Vite, il me fallait redescendre. Mais, trop tard. 15, 14, 13... L'affichage lumineux au-dessus de la porte égrenait ses chiffres en ordre décroissant. Un coup d'œil rapide m'a révélé un couloir complètement vide. Une scène d'un film étranger vu un jour à la télé dans la série « Les grands classiques du week-end » m'est revenue à l'esprit. Un gros bonhomme, qui courait dans le couloir désert d'un hôtel, fonçait droit dans le mur en criant : « Tu vas voir qui je suis ! » Et, au moment du contact, il passait à travers et disparaissait. J'ai scruté le mur comme pour y trouver le trou laissé par le passe-murailles. [...]

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