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Culture

La poésie (8) – Ki Hyongdo (3)

2017-07-04

La poésie (8) – Ki Hyongdo (3)
« Une feuille noire dans la bouche », recueil de textes de Ki Hyongdo traduits par Ju Hyounjin et Claude Mouchard, paru aux éditions Circé en 2012.

* Présentation du poète :
Ki Hyongdo a vécu une période sombre de la Corée sous le régime militaire du général Chun Doo-hwan, une période où les jeunes paraissaient « devoir ne plus exister que comme des ombres menacées », selon la traductrice Ju Hyounjin. Dans un article paru dans Keulmadang, une web-revue spécialisée dans la littérature coréenne, Margaux Dodemant explique : « Dans sa recherche poétique, Ki va parfois très loin et s’engage dans une déshumanisation attirant particulièrement l’attention du lecteur, il ne donne presque jamais de noms, ne décrit pas les visages. Dans le poème ‘Brouillard’ il met en scène un climat dans lequel les hommes sont ‘incapables de se reconnaître’ et sont même ‘méfiants’ les uns envers les autres. Il ne rend pas seulement la communication entre les hommes impossible, il la transforme en danger potentiel, faisant du contact avec l’autre, à travers le viol et le crime, la trame d’une violence quotidienne. A l’inverse, il personnifie des objets jusqu’à leur donner une réflexion propre. Dans ‘Le vieux livre’, il s’agit bien de la voix narrative de l’objet ‘je’, qui s’interroge sur les écrits qu’il contient. Plus tard, dans ‘Papier bleu couvert de poussière’, la guitare, bien que cassée, semble jouer d’elle-même. Le narrateur n’est qu’un spectateur face à l’instrument qui a pris vie. A partir de cette nouvelle existence créée, Ki développe une pensée profonde et originale : il tente une explication du vivant par ce qui est mort. »

* Poème

Brouillard

1
Jour et nuit, un brouillard épais couvre le bras du fleuve.

2
Tous ceux qui viennent pour la première fois dans ce village
doivent passer par cet énorme fleuve de brouillard.
Jusqu’à ce que leurs compagnons devant eux s’effacent peu à peu,
ils doivent rester debout, là, sur cette longue digue,
comme des animaux tristes,
jusqu’à s’étonner de se sentir, soudain, enfermés
seuls dans un trou de brouillard.
Parfois jusqu’à ce qu’un soleil jaune et dur s’accroche
à l’épais papier de l’air
l’armée du brouillard n’avance même pas d’un pas.
A l’heure d’ouverture de l’usine, les ouvrières, en retard, passent en riant.
D’entre les arbres bourrus et noirs
qui se délivrent de longues ténèbres
les enfants sortent doucement.
Ceux qui n’ont pas l’habitude du brouillard y marchent d’abord
prudemment, mais bientôt, comme les autres,
ils vont çà et là dans le brouillard. L’habitude,
c’est bien commode. Ils se familiarisent vite avec le brouillard
et s’écoulent comme des fous jusqu’à ce que
le pylône au loin montre son tronc flou.
Les jours où le brouillard ne tombe pas,
les gens qui marchent sur la digue ont tous des visages inconnus.
Méfiants les uns envers les autres,
ils se hâtent de passer. Cependant, les matins clairs et tristes
sont très rares. Ici, c’est le lieu sacré du brouillard.

Quand la nuit tombe, le brouillard dépose ses vêtements
mouvants,
l’un après l’autre, sur le bras du fleuve. Tout à coup, l’air s’emplit
d’un liquide blanc et solide. En lui
s’absorbent plantes et usines.
Un homme à trois ou quatre pas devant, est coupé en deux par le brouillard.
[...]
3
Jour et nuit, un brouillard épais couvre le bras du fleuve.
Le brouillard est la spécialité de ce village.
Tout le monde a, si peu que ce soit, des actions dans le brouillard.
Les visages des ouvrières sont purs et beaux.
Les enfants grandissent vite et vont tous à l’usine.


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