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Culture

L'auteur et son sujet fétiche (2) : Pyun Hye-young et la peur (15)

2015-06-11

L'auteur et son sujet fétiche (2) : Pyun Hye-young et la peur (15)
« Cendres et rouge », roman de Pyun Hye-young traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, paru chez Philippe Picquier en 2012.

* Extrait :
Quand le vieil homme lui tourne le dos après avoir dit qu'ils en reparleront plus tard, T-K entend le couvercle de la bouche d'égout s'ouvrir. Pourtant, aucun occupant des lieux n'en a la clé. Qui est-ce donc ?

Pages 153 à 155 :
L'inconnu pose les pieds par terre. Dans sa main protégée par un gros gant argenté, il tient par la queue un rat mort qui se balance mollement. Il fait tournoyer le cadavre et le lance en direction des habitants du tunnel, lesquels ne manifestent aucune réaction – l'animal est mort, il ne risque plus de leur voler leur nourriture. L'un d'eux le ramasse et le jette sur l'homme qui recule brusquement.

Comme pour sauver la face, le nouvel arrivant demande quelque chose d'un ton autoritaire. T-K, trop éloigné, n'a pas bien entendu, mais il a saisi le mot « rat ». Quel genre de question l'homme a-t-il pu poser à ce sujet ? Pourquoi ont-ils tué des rats ? Non, ce n'est sans doute pas ce qu'il veut savoir. Pour tout le monde, le rat est un animal nuisible qu'il faut éliminer. [...]

Les SDF s'agitent. T-K suppose que l'homme vient en réalité de leur adresser des reproches. Tout à coup, le vieillard, qui s'est approché, se retourne et pointe le doigt vers T-K. Aussitôt, l'inconnu projette la lumière de sa lampe sur lui. Ébloui, T-K cligne des yeux. Finalement, la question n'avait peut-être rien à voir avec les rats, se dit-il. L'homme n'aurait utilisé ce mot que pour faire une comparaison. Dans le pays de T-K, plusieurs expressions font référence aux rongeurs. La police, en particulier, traite souvent les malfaiteurs de « sales rats ». Ce doit être la même chose en C. Auquel cas, il aurait de quoi s'inquiéter. Pourtant, il est peu probable qu'un flic soit venu chercher un suspect, étranger de surcroît, jusque dans les égouts, même si les deux pays ont passé un accord pour l'extradition des criminels.

Quelque peu rassuré par cette conclusion, T-K hésite à s'enfuir. C'est l'homme qui s'avance, il recule craintivement de quelques pas parmi les SDF affalés par terre. Puis il tourne les talons et prend ses jambes à son cou, poursuivi par la lumière de la torche. Bientôt hors d'haleine, il se dit que c'est le moment ou jamais de se jeter dans les eaux noires. Mais avant d'avoir pu mettre son projet à exécution, il s'écroule. Pas d'épuisement, non, ce sont plusieurs SDF qui l'ont attrapé par les chevilles.

[...] L'homme en combinaison, aidé de trois autres qui viennent de le rejoindre, l'immobilise au sol. Il lui prend la température, le force à ouvrir la bouche et lui examine le fond de la gorge. T-K se débat, flanque des coups de pied à l'un des gaillards qui riposte en le frappant violemment avec un gourdin.
— Calme-toi ! On ne te veut pas de mal. Tu nous remercieras plus tard.
T-K les accable d'injures qu'ils ne comprennent visiblement pas. L'homme qui l'a cogné éclate de rire et dit :
— Tu apprendras vite à quel point notre boulot est ingrat. On se décarcasse, et tout ce qu'on récolte comme remerciement, ce sont des injures et des coups.
Les quatre individus entraînent de force T-K à la surface. L'homme à la torche dépose quelques pièces dans la main du vieillard qui les accompagne. En le voyant sourire de ses dents jaunes, T-K ressent la même répulsion que lorsque le singe noir s'était collé contre son visage.

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