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Maîtrise du souffle, maîtrise de soi

#Aux sources de la musique coréenne l 2020-12-02

Aux sources de la musique coréenne

Maîtrise du souffle, maîtrise de soi

 Enfin ils pourront se retrouver seul à seule. Ce sont un homme et une femme, tombés amoureux l’un de l’autre, mais qui, selon ce « sijo », un tercet, « ne nourrissaient leur amour que du croisement de leurs regards fugitifs ». Ils ont fini par se donner un rendez-vous, le premier donc, et ce dans la demeure de la femme sans doute, car le poème décrit les circonstances de son attente, attente impatiente et aussi anxieuse. En fait, le premier vers dit : « Le vent violent comme pour faire trembler la terre et la pluie torrentielle ». L’homme viendra-t-il au rendez-vous malgré ces intempéries ? « S’il vient, se dit la femme, notre amour est providentiel ». Elle est probablement énervée face au manque de clémence du ciel. Elle n’ose cependant pas blâmer la Providence et finit par penser que Celle-ci met à l’épreuve l’amour de son amant. Voilà comment se réconcilier avec la toute-puissance, voire admettre ce qui ne dépend pas de soi. 

 Imaginons notre « sijo » mis en musique. En réalité, ce tercet de l’époque Joseon et dont l’auteur est inconnu, ne nous est parvenu que sous forme d’un chant du genre « gagok » A quoi ressemble-t-il ? Est-ce une chanson marquée par la cadence exprimant les battements du cśur d’une amoureuse impatiente et anxieuse ? 

 Ce n’est pas du tout un chant au rythme que l’on peut imaginer par rapport à ses paroles. Presque chaque note est infiniment prolongée, si bien qu’on a l’impression que la chanteuse, dans la peau d’une amoureuse prise d’anxiété, cherche à s’apaiser. Le « gagok », caractérisé par son extrême lenteur, est chanté justement pour que l’interprète, ainsi que son auditoire, parvienne à un apaisement émotionnel. Or, chacun sait que pour maîtriser ses émotions, il faut maîtriser son souffle. A une personne extrêmement angoissée face à une épreuve par exemple, on conseille : « Respire profondément. » Le « gagok », un exercice de respiration ? Pourquoi pas ? Les lettrés confucianistes du Joseon, très attachés à la maîtrise de soi, appréciaient particulièrement ce genre de chanson. Quand ils en chantaient une, ils pratiquaient peut-être, en même temps, la respiration abdominale. 

 Celle-ci, s’apparentant selon certains à un exercice spirituel, est aussi une pratique chère pour les moines bouddhistes. Et il semble que comme c’est le cas chez les lettrés confucéens, ces religieux fassent appel au chant pour parvenir à la maîtrise du souffle, à une musique vocale introduite en Corée il y a plus de mille ans et appelée « beompae », « prière en sanscrit ». Par ailleurs, au niveau du rythme, du fait que certaines notes sont extrêmement prolongées, cet art vocal évoque le « gagok ». 

 Le « beompae » comporte plusieurs sous-catégories de chant dont chacune correspond à un genre de cérémonie précis. Quelle cérémonie par exemple ? Imaginez un temple ayant accueilli un trop grand nombre de fidèles à l’heure de la messe. Cela peut arriver notamment lors de la fête de la Nativité du bouddha. Le sanctuaire étant complet, beaucoup qui n’ont pu y entrer sont installés dans la cour. Ils vont suivre la messe en écoutant la prière retentissant jusque-là. Mais pourquoi ne pas installer un écran géant sur lequel la messe est retransmise en direct ? Faute de quoi à l’époque où la technologie audiovisuelle n’était pas si développée, et aujourd’hui par un attachement à la tradition, un temple débordé installe dans la cour un portrait géant du bouddha. Voici un groupe de moines qui le transporte. Le déplacement de cet objet de culte ne se déroule bien sûr pas de façon que le déménageur transporte un meuble. On assiste à un défilé sur un chant cérémonial ; celui-ci aidant probablement les transporteurs à contrôler leur souffle. 

 Le « gagok » et le « beompae » constituent deux des trois principaux genres de musique vocale dans la tradition artistique du pays du Matin clair. Et le troisième ? C’est bien sûr le pansori exigeant notamment de son interprète la maîtrise parfaite du souffle et s’apparentant par-là aux deux premiers genres de musique vocale. 

 Alors que presque n’importe quel passage d’un numéro de pansori nous convainc de la nécessité de la performance du chanteur au niveau du contrôle de sa respiration, en voici un qui se rattache à la question du souffle par son histoire chantée Il s’agit d’une scène du « Chant de Shim Cheong ». La pauvre jeune fille à bord d’un navire marchand chinois a finalement été jetée dans la mer en sacrifice vivant. Mais son corps disparu sous l’eau remonte immédiatement comme s’il avait été poussé par une force mystérieuse et surnage. Les marins sont sûrs que la jeune fille est en vie. Est-ce qu’elle sait nager ? Nager sur le dos ? Il semble plutôt qu’elle se laisse aller à la dérive. Pour que son périple ait une heureuse fin, qu’elle soit finalement repêchée par la marine royale avec, à bord, un prince charmant, son futur époux, elle a besoin de bien contrôler son souffle.


Liste des mélodies de cette semaine

1. « Le vent... » chanté par Yi Jun-ah.

2. « Peompae » chanté par le moine Songam.

3. « Le Chant de Shim Cheong » par Sung Chan-sun.

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