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Cinéma & dramas

Her Story et les esclaves sexuelles de l’armée nippone

2018-07-18

Séoul au jour le jour


« Her Story » de Min Kyu-dong, est à la fois un film mémoriel et un film historique. Historique, il l'est pour la reconstitution du procès intenté contre Tokyo par des Coréennes asservies par l'impérialisme nippon ; mémoriel, il l'est par sa façon d'évoquer le sort des esclaves sexuelles et des travailleurs forcés sans reconstitution – aucun film n'a, d'ailleurs, vraiment tenté la reconstitution jusqu'à présent. Toutefois, Min était surtout le cinéaste qu'il fallait pour éviter la tendance au film d'apitoiement national, exutoire facile des enjeux économiques actuels.


* Procès dit de Gwanbu ou de Shimonoseki rendu en 1998

Le film relate le procès dit de Gwanbu ou de Shimonoseki qui fut finalement jugé en 1998. Une association de défense des droits des femmes menée par une directrice d'agence de voyage et une restauratrice de Busan réussit à convaincre quatre grands-mères, anciennes esclaves sexuelles de l'armée nippone, d'intenter un procès à l'Etat japonais. Au millieu des opposants néo-fascistes nippons et soutenues par la communauté locale des Choson-jin (Japonais d’origine coréenne) dont leur avocat, elles obtiennent la reconnaisance par la Cour nippone de leur martyre (cloitrées, violées à volonté par les militaires, torturées, mutilées, sous-alimentées, et parfois exécutées), une compensasion financière dérisoire, mais aucune excuse devant les Nations unies comme elles le demandaient ni la reconnaissance du martyr des travailleuses forcées dont l'une d'entre elles avait le statut.


*L'hostilité nippo-coréenne

La Corée libérée de près de 40 ans de colonisation nippone était en mauvaise posture pour obtenir réparation avec la guerre civile, la division, et ensuite la succession de dictatures militaires. Surtout, les dictateurs n'ont jamais caché leur admiration pour le modèle militaro-industriel nippon, ce qui explique que l'accord de 1965, derrière lequel s'abritent toujours les autorités nippones, est insatisfaisant, car fait sous la dictature de Park Chung-hee. Le procès n'est donc intenté qu'à l'instauration d'un gouvernement démocratique en Corée du Sud. Le cas des esclaves est symbolique pour l'ensemble de la colonisation dont les autorités nippones ont été « grâciées » par la tutelle américaine, entente économique oblige. Ainsi les patrons des grosses compagnies qui ont financé l'impérialisme nippon sont restés en place tout comme beaucoup d'institutions fascistes et militaires. Ces derniers n'ont jamais reconnu leur culpabilité, ni même compris le problème. Ils admettent juste leur défaite et s'avèrent, comme le prouve la monté du néo-fascisme nationaliste nippon de nos jours, prêt à recommencer. Par-dessus cela, viennent des considérations moins humanistes de rivalités pour le « soft power » du marché « culturel », des zones de pêches et l'exportation de produits industriels.


* Min Kyu-dong et le contournement par le réalisme

Disons-le rapidement : le film n'évite pas deux ou trois scènes larmoyantes attendues et probablement contractuelles pour brosser le public dans le sens du poil. Pourtant, ceux qui s'attendaient à un « heritage film » de promo du sentiment national anti-nippon, seront surpris de voir Min Kyu-dong parvenir à décrire la vie actuelle (des années 1990) de ces femmes devenue vieilles, malades, parfois débiles comme le personnage extraordinairement bien jouée par Lee Yong-nyeo. La caméra s'aventure dans les vielles bicoques, les néo-appartements de Busan, les restaurants miteux du bord de mer, les bureaux décrépis d'agence de voyage dont l'héroïne (magistralement interprétée par Kim Hee-ae qui tient là son meilleur rôle au cinéma) est la patronne. Sans oublier de laisser parler l'accent et le dialecte de la grande ville portuaire.


*Film mémoriel, film d'histoire

La scène la plus intéressante du film est celle où l'une des femmes – Kim Ae-sook – revient sur les lieux de ces années de captivité en bordel. Sont-ce les vrais lieux ? On ne le sera pas. Mais, on entre dans le cinéma de mémoire à la Lanzmann (« Shoah » pour les camps nazis) ou Rithy Panh (« S21, la machine de mort Khmer rouge »). C'est le film qu'il aurait fallu faire mais la scène est écourtée bien que renforcée par l'absence d'images d'archives ou de reconstitutions. On ne voit rien du passé ; les images seraient-elles des traces trop maléables, insuffisantes comme Lanzmann et Panh l'affirment ? Le lien entre les lieux aujourd'hui (on voit une famille y vivre) et le discours évocateur des femmes devraient remettre cela au présent, humaniser la froide et douteuse reconstitution dite historique. Il reste une ambigüité que le cinéaste n'a pu contourner : laisser cela sur le plan du discours émotionel c'est faire le jeu des puissants manipulateurs. En tout cas, Min évite de faire un « trial-film » comme disent les Américains, avec des flots de logorrhée, certes brillante, mais pauvre au niveau cinématographique. 

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