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Culture

Les femmes écrivains coréennes (1) : Oh Jung-hi (5)

2014-10-17

Les femmes écrivains coréennes (1) : Oh Jung-hi (5)
« L'oiseau », roman d'Oh Jung-hi traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot, paru aux éditions du Seuil en 2005.

* Extrait :
Umi apprend que dans la maison où elle vient de s'installer vivent d'autres locataires : il y a non seulement monsieur Yi mais aussi le couple Mun qui travaille dans une fabrique de biscuits et qui n'a pas d'enfants. Chez les propriétaires, il y a la vieille dame, sa fille Yônsuk qui est paralysée et le mari de celle-ci, monsieur Chông. Un jour, le père organise une crémaillère et, sous l'effet de l'alcool, les voisins se disputent sans raison et sortent de la chambre l'un après l'autre, sauf monsieur Yi. Il tente de séduire la jeune nouvelle maman d'Umi et d'Uil.

Pages 41 à 42 :
Le fracas m'a réveillée. La table avec les bols et les bouteilles avait été repoussée dans un coin. Monsieur Yi avait disparu. Mon père frappait la femme au visage en la tenant par les cheveux et en lui crachant à voix basse :
– Il a deviné d'où tu sors. Tout ça parce que tu continues à tortiller des fesses devant les mecs !
Ses lèvres éclatées saignaient et ses joues étaient marquées par les coups. Était-ce un cauchemar ? J'ai fermé les yeux en me pelotonnant. J'ai retenu mon souffle. Tout tremblant, Uil s'est blotti contre moi et les yeux fermés, il a chuchoté d'une voix qui se coinçait de temps en temps : « Mettre un compteur au cul ! C'est marrant. C'est vraiment marrant, hein, grande sœur ? »
J'avais peur bien sûr, mais en même temps j'éprouvais un étrange soulagement, l'espèce de soulagement qui succède à la tension d'une insupportable attente lorsqu'on regarde un ballon qui gonfle, gonfle et finalement explose. C'était la première fois que mon père battait cette femme, mais la scène me semblait familière, déjà vue. C'était ce qui couvait dans le rire à répétition de la femme, dans ses cheveux dorés sur le bras de mon père, dans le poing de mon père, dans son regard fiévreux, hébété et soupçonneux, quand il attendait qu'elle finisse sa toilette et que nous soyons endormis.


Le jour de la rentrée, le père inscrit les enfants à une école du voisinage avant de partir travailler sur un chantier de construction. Il rentre tous les samedis et repart le lendemain, et la femme passe tous les autres jours de la semaine devant le téléphone. Elle raconte sans arrêt qu'elle n'en peut plus, qu'elle se sent seule, que le père d'Umi va finir par la tuer.

Pages 51 à 52 :
[...] Parfois aussi elle se plaignait auprès de la propriétaire quand elle faisait la lessive au robinet de la cour.
– Qu'est-ce que vous en dites ! M'occuper des gosses d'une autre à mon âge ! Même quand on prend du bon temps, ça passe trop vite, mais là, on n'a même pas d'argent ni de maison. Il m'a entortillée avec ses bobards, à le croire il avait un veau d'or chez lui... On n'est jeune qu'une fois.
– Quand on est une fleur du pavé, faut penser à ses vieux jours. La jeunesse, c'est vite passée.
– Les gosses ne m'aiment pas. La pire, c'est la fille. On est comme l'eau et l'huile.
– Ça vaut quand même mieux que l'eau et le feu.
– J'ai autant peur des enfants que du père.
– La peur, c'est pire que la haine.
C'était étrange. Notre père ne l'avait frappée qu'une fois et nous, nous n'avions jamais rien fait qui puisse lui faire peur. Cette femme était beaucoup plus grande que nous, elle était plus forte aussi. Nous étions sages comme des images, et pourtant la femme de notre oncle maternel devenait folle jour après jour et celle de notre oncle paternel disait que nous allions la faire mourir avant l'âge.

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