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Culture

Les femmes écrivains coréennes (1) : Oh Jung-hi (6)

2014-10-23

Les femmes écrivains coréennes (1) : Oh Jung-hi (6)
« L'oiseau », roman d'Oh Jung-hi traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot, paru aux éditions du Seuil en 2005.

* Extrait :
Pendant l'absence du père, la femme disparaît. C'est maintenant Umi qui s'occupe du ménage et de son frère.

Pages 57 à 58 :
Il est rentré le samedi comme d'habitude. Quand il a appris qu'elle était partie, il ne s'est pas mis en colère, il n'a pas hurlé. Il a promené un regard songeur sur la chambre où il n'y avait plus trace d'elle. Il s'est contenté de dire : « Je vais la ramener. » Il n'était plus le même, il avait l'air cassé et c'est ça qui faisait peur.

[...] À l'aube, je me suis réveillée. Je l'ai vu assis contre le mur en train de fumer, il n'avait même pas déplié sa couverture. La fumée qui saturait la chambre prenait à la gorge.


Elle fuit avec son coffre si lourd, notre père la poursuit. La distance entre eux se réduit dangereusement, elle enlève une chaussure rouge et la jette vers lui. Le feu éclate à l'endroit où se trouve père. Il se dégage péniblement des flammes et se lance à sa poursuite. Au moment où il va la saisir par ses cheveux dorés, la femme lui jette une chaussure bleue et l'eau bleue du fleuve vient lui barrer le chemin.

Quand je me suis réveillée au matin, il fumait toujours, adossé au mur. Ses yeux étaient injectés de sang. Il restait silencieux. J'avais juste fait un rêve. Mais je me suis rappelé qu'elle avait dit un jour qu'elle finirait par mourir de peur, et mon cœur s'est mis à battre plus fort. « Il va la tuer », m'a chuchoté Uil, et la frayeur se lisait sur son visage.

Le père ne vient plus, laissant les enfants seuls à la maison. Umi joue le rôle de la grande sœur, la mère et la maîtresse d'école de son petit frère. Un jour, quand ils passent devant le hangar abandonné, les enfants voient un homme qui nettoie les carreaux d'un très grand immeuble d'appartements.

Pages 83 à 87 :
Un homme, telle une araignée, était collé sur une fenêtre à une hauteur vertigineuse. En fait, il était en train de nettoyer les carreaux, assis sur une petite planche suspendue au sommet de l'immeuble par des cordes, comme une balançoire.

– C'est le onzième étage, a chuchoté Uil qui l'observait tête renversée.
Le soleil couchant teintait d'or les carreaux. De temps à autre, l'homme suspendait son mouvement et rapprochait son visage de la fenêtre comme pour regarder l'intérieur. Les cordes tendues l'ont hissé lentement. Si elles cassaient, il serait précipité dans le vide. Cette idée m'a fait frissonner. L'homme est entré dans la lumière dorée. Le soleil qui incendiait les carreaux l'a avalé.
– Il est dans le feu, a murmuré Uil qui en restait bouche bée.

[...] Ce gosse rêvait toujours qu'il volait. C'est pour ça qu'en dormant il repoussait la couverture et s'agitait en lançant les bras et les jambes. Moi aussi, je rêvais parfois que je volais très haut. J'étais tout excitée de voler, mais lorsque je me sentais fatiguée, que j'avais envie de m'arrêter, je n'arrivais pas à redescendre sur terre, et au moment où je me disais : « Ah, j'ai peur. Je ne suis pas un oiseau », je tombais comme une pierre et je me réveillais. J'étais en nage et je n'arrivais pas à me lever, épuisée comme si j'avais vraiment volé toute la nuit. Que font-ils quand ils sont fatigués, ces oiseaux qui volent des centaines et des milliers de kilomètres au-dessus de la mer ? [...]

Dans l'herbe de la berge, on a trouvé un oiseau. Il était mort. Je l'ai ramassé. Son plumage était doux, son corps tout léger. J'avais l'impression d'avoir dans ma main une poignée de vent. Ses pattes desséchées faisaient penser à du fil de fer ; ses plumes salies par la poussière et la terre grouillaient de fourmis semblables à des graines de pissenlit.
– On dirait l'oiseau de monsieur Yi.
– Ne dis pas de sottises.
Après avoir rembarré Uil qui le regardait le front plissé, j'ai jeté l'oiseau sur le sol. Je l'ai retourné avec un bâton, mais je n'ai distingué aucune plaie. L'aiguille argentée d'un rayon de soleil avait dû transpercer ce corps minuscule. Une nausée m'a saisie. J'avais l'impression d'avoir le ventre plein de choses qui grouillaient. Ma bouche s'est remplie de salive et j'ai craché. Uil a proposé qu'on l'emporte chez nous, mais je l'ai lancé au milieu des arbres, à l'écart du chemin.

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