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Culture

L'auteur et son sujet fétiche (2) : Pyun Hye-young et la peur (9)

2015-04-30

L'auteur et son sujet fétiche (2) : Pyun Hye-young et la peur (9)
« Cendres et rouge », roman de Pyun Hye-young traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, paru chez Philippe Picquier en 2012.

* Extrait :
Malgré tout, son ex-femme est la seule personne à qui T-K pourrait confier son chien. Comme il ne connaît pas par cœur son nouveau numéro, il pense le demander à Yujin, mais il n'a pas non plus le sien. Il décide donc de se renseigner auprès de son entreprise.

Pages 71 à 76 :
Il appelle Yujin sur son portable, dont l'employée lui a enfin communiqué le numéro. Mais l'appareil est éteint. Yujin doit être en réunion. T-K attend la fin du message enregistré et articule d'une voix calme :
— Excuse-moi de te déranger, mais j'ai absolument besoin du numéro de Jin.
Il réfléchit un instant et ajoute :
— Et puis, non, je préfère te le demander à toi. Je voudrais que tu ailles chez moi pour faire sortir mon chien. Tu peux l'abandonner dans la rue, ce n'est pas grave.
[...] Ce message, il l'a laissé sur un coup de tête, mais au moment où il l'a prononcé, il s'est rendu compte qu'il se fichait complètement du sort du chien et n'avait aucune intention de renouer avec son ex-femme. Il ne veut pas qu'elle se repose sur lui et surtout il ne supporte pas l'idée de sa présence à ses côtés. Lorsqu'il avait appris son divorce avec Yujin, un nouvel espoir était né dans son cœur. Il l'admet. Mais à présent, il ne souhaite plus s'y abandonner. [...]
Deux jours après qu'il a laissé le message sur le répondeur de Yujin, son téléphone sonne. Plus tard, il se rappellera avec nostalgie ces deux jours, les plus paisibles de tout son séjour en C. Il a souvent pensé à son chien, avec un brin de culpabilité. Il a eu faim, car les repas fournis à heure fixe étaient trop chiches. Il s'est inquiété de ne pas recevoir de nouvelles de Mol. Il s'est surtout souvenu avec angoisse de ce que Tête-de-Poisson lui avait dit à propos de l'erreur informatique émanant de la DRH du siège. Mais tout cela n'était que broutilles à côté de ce qu'il allait connaître par la suite.
Croyant que c'est Mol qui appelle, T-K se précipite pour décrocher. [...] Avant même de porter le combiné à son oreille, il entend la voix parler dans sa langue maternelle. Yujin ! Ce n'est pas lui qu'il attendait, mais il est content tout de même.
— Merci, Yujin ! Tu me sauves la vie.
Il a parlé d'une voix exagérément forte, car il vient de se rappeler qu'il lui a demandé un service malgré leur relation pas franchement amicale.
— Moi, je te sauve ? répond Yujin. En tout cas, toi, tu as voulu me tuer.
— Qu'est-ce que tu racontes ? [...] Au fait, qu'est devenu mon chien ?
— Comme tu me l'avais dit, j'ai d'abord pensé l'abandonner dans la rue. Je n'avais aucune envie de me charger d'un animal, du tien surtout. Malgré ce que tu as l'air de croire, je ne fais pas partie de tes amis. Tu n'as pas à me demander ce genre de service. En fait, j'ai trouvé ton message tellement déplacé que ça m'a mis en pétard.
— Je comprends, répond T-K, penaud.
Il ne tient pas à énerver Yujin davantage.
— Alors pourquoi m'as-tu pratiquement ordonné de faire une chose pareille ?
— J'ai fait ça sans réfléchir. Je croyais que de toute façon tu n'en tiendrais pas compte.
— Je suis allé chez toi uniquement pour passer ma colère sur ton chien. Je voulais le battre comme si c'était toi.
— Tu l'as frappé ?
— Non, je n'ai pas pu.
— Pourquoi ? Il t'a mordu ?
À cette pensée, T-K sourit.
— Désolé de te décevoir, mais non, ce n'est pas ça !
— Il s'était enfui ? Pourtant, j'avais bien fermé à clé.
— Non, non, il était là.
T-K garde le silence.
— Arrête de jouer la comédie, tu veux ? reprend Yujin. J'attends tes explications.
— Mais de quoi parles-tu ?
— Tu le sais très bien. J'ai compris pourquoi tu m'avais demandé ce service dès que je suis arrivé chez toi. [...] J'ai trouvé dans ton appartement ce que tu voulais que je découvre.
— Je t'ai juste demandé de libérer un pauvre chien à moitié mort de faim. Il n'y avait rien là d'extraordinaire. À t'entendre, on dirait que j'ai exigé que tu me donnes un de tes reins...
— Il était mort.
— Quoi ?
— Il était mort, je te dis. [...]
— Il devait avoir faim, alors il a mangé n'importe quoi et il s'est empoisonné.
— Possible, mais ce n'est pas ça qui l'a tué.
— Tu es sûr qu'il est mort ?
— Il a été déchiqueté à coups de couteau. [...] Il y avait un autre cadavre, ajoute Yujin.
— Quoi ?
— Tu ne vas pas me dire que tu l'ignorais !
— Les seuls êtres vivants chez moi étaient le chien et les cafards. Et aussi les fourmis rouges. En hiver, elles pullulent près de la chaudière.
— Alors, tiens-toi bien ! Tu risques d'être surpris.
Yujin prend son temps, comme s'il voulait ménager son petit effet. Ou alors il respire un grand coup pour apaiser sa peur. En tout cas, cette pause suffit à effrayer T-K. Qu'est-ce qui est susceptible de mourir chez lui, à part le chien et les insectes ?
— Notre ex-femme, annonce Yujin en détachant chaque syllabe.

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