Le réalisateur de blockbuster à succès, Ryoo Seung-wan, est pris sous le feu de polémiques diverses suite à la sortie de son film «Battleship Island » le 26 juillet dernier en Corée du Sud; oeuvre qui relate les malheurs des travailleurs forcés coréens sur l'île de Hashima, camps de travail de l'armée impériale nippone. Le film relance le débat sur les rapports entre cinéma et histoire mais aussi celui sur les difficultés, en général, de la science historique moderne en Asie.

*Du film d'action à petit budget aux blockbusters 

Ryoo a commencé sa carrière sous l'aile protectrice de son ami Park Chan-wook qui venait de rencontrer le succès avec « JSA » (1999), un thriller sur les conflits de frontière Nord-Sud. L'idée de faire des films d'action commerciaux politiquement incorrects à partir d'événements historiques coréens était lancée. Cela rompait avec les mélos historiques contrits (version conservatrice) ou du réalisme historique militant (version gauchiste) des films de l'époque précédente. Tout en collaborant avec Park Chan-wook, Ryoo tourne un très petit budget « Die Bad » en 2000. Ce « Mean Streets » à la sud-coréenne, fait par Ryoo et son jeune frère Ryoo Seung-beom, tous deux issus d'une famille du prolétariat provincial, impressionne par sa liberté de ton, son point de vue libertaire sur la survie quotidienne de la jeunesse dans le pays. Leur carrière est lancée.

*Chef d'oeuvre versus jackpots de box-office

Biberonné aux films d'arts martiaux de Hong Kong, Ryoo fantasme la violence dans ses films suivants, mais il peine à se trouver. Il tourne pourtant son chef d'oeuvre : « Crying Fist » en 2005 avec la star Choi Min-shik à son apogée, transformé pour le film en homme punching ball contre la société. La suite, pour Ryoo, est une série de jackpots de box-office (50 et 100 millions de dollars de recettes pour les deux derniers) : « The Unjust », film peu clair sur la corruption de la justice et de la police, « Berlin File », imbroglio boursouflé sur l'espionnite nord-coréenne, et surtout « Veteran », une lapidation exutoire simpliste des héritiers des chaebols diabolisés en psychopathes, avec la star Hwang Jung-min qui rempile sur « Battleship Island ».

*La polémique de « Battleship Island »

Avec « Battleship Island », Ryoo revient un peu à ses débuts aux côtés de Park Chan-wook (qui a, lui aussi, récemment tourné un film sur la colonisation japonaise et la collaboration « The Handmaiden »). En effet, il s'agit d'un film d'action basé sur des faits réels mais politiquement incorrects. D'où les attaques de la presse conservatrice qui s'est offusquée des charges très fortes contre les collaborateurs coréens qu'ils soient de la classe dirigeante ou de petits contremaîtres (Il est connu que les riches familles actuelles sont souvent issues de la collaboration). Ce sujet tabou brise le roman national anti-japonais simplificateur qui voudrait voir tous les Coréens dans la résistance. Même si son film est improbable par bien des aspects (héroïsation excessive des résistants et tentative lourdingue d'évasion), Ryoo dit bien que l'histoire reste à faire sur ces sujets. Mais l'oligarchie laisse-t-elle les historiens comme les cinéastes faire leur travail ? Ryoo, probablement surpris par cette polémique (il avait été épargné jusqu'ici car peu de commentaires ont souligné la critique des riches dans le blockbuster « Veteran ») a bien compris que non.

*Libeté de parole des cinéastes contre les monopoles

Après Kim Ki-duk qui avait rompu l'omerta et dénoncé le système des monopoles qui lie les puissants distributeurs à de gigantesques chaines de multiplexes, Ryoo lui emboîte le pas, et même le dépasse dans une interview dans laquelle il explique que ce système hégémonique dépasse les réalisateurs. Si son film est sorti dans 2 000 salles tenues par CJ-CGV, sur les 3 000 existantes, et même si cela a profité à son film, il n'a pu que réitérer son opposition au monopole partout où cela était possible. Voilà donc une parole libre, nouvelle, qui correspond au mouvement de fond actuel dans le cinéma du pays du Matin clair.