Aller au menu Aller à la page
Go Top

Culture

L'auteur et son sujet fétiche (3) - Kim Young-ha et la mort (15)

2015-10-22

L'auteur et son sujet fétiche (3) - Kim Young-ha et la mort (15)
« La mort à demi-mots », roman de Kim Young-ha traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, paru chez Philippe Picquier en 1998.

* Extrait :
C commence à filmer Mimi. D'abord, il étale par terre la toile qu'il gardait contre le mur et travaille la peinture. Ensuite, Mimi enlève ses vêtements et, après avoir imprégné ses cheveux et son corps de peinture, elle se met à remplir la toile blanche.

Pages 112 à 114 :
La première fois que Mimi a visité son appartement, c'était trois jours après leur rencontre au café. Ils regardèrent des cassettes vidéo qui contenaient des travaux de C. Elle avait l'air intéressée. Elle était comme hypnotisée et ne pouvait pas se décoller de l'écran. C finit par se rendre compte qu'elle ressemblait ainsi à un personnage d'un dessin de Boris Ballezo, mais il ne put pas se rappeler le titre. Il avait du mal à se souvenir des choses écrites à cette époque. Il avait l'habitude de tout mémoriser en images, pas en écriture.
« J'aime bien les happenings. Le mime aussi, dit-elle d'une voix déterminée.
— L'art vidéo, c'est intéressant aussi », commença-t-il prudemment. Elle ne se montra pas d'accord.
« C'est regarder à travers un objectif. Et après, on regarde les images sur un moniteur pour les monter. Et quand le montage est fini, on regarde encore le résultat sur un moniteur. Vous n'êtes pas d'accord ? On filtre tout le temps, ce n'est plus du réel.
— C'est une façon de voir, en effet. Mais l'art, n'est-ce pas filtrer le réel au moins une fois ? Que ce soit en peignant ou en sculptant, on transforme le réel d'une manière ou d'une autre pour le rendre encore plus réel. On pourrait dire qu'il s'agit de refléter le réel. » C observa son visage. Elle n'avait pas l'air de céder.
« Ce que je fais, c'est différent. Moi, j'ai un contact direct. Je lis la mort, l'amour et le désir dans les yeux des gens qui me regardent. Et je réagis en fonction de ce que je lis. Si le but de l'art, c'est la rencontre avec la Beauté, et la Beauté vivante, tous les arts qui ne sont pas du spectacle sont faux. Ce ne sont que des compromis, de vaines recherches de l'immortalité, des résidus de ces choses-là. Si on critique ce que je fais, c'est par peur de la vraie Beauté. Les gens empaillent la vraie Beauté à cause de leur obsession de l'immortalité. Ce sont des esclaves habitués aux arts morts. » Son ton devenait hystérique.
« [...] — Pourquoi avez-vous peur de la vidéo ? »
Elle ouvrit de grands yeux et répliqua :
« Peur ? Pas du tout. Simplement, je n'aime pas ça.
— La peur prend souvent le masque de l'aversion. Si vous voulez apprendre à faire du vélo, il faut tourner le guidon dans le sens où vous êtes en train de tomber. Et après, il faut pédaler vite. »
Elle sembla méditer ses paroles pendant assez longtemps, mais son silence n'était sans doute pas un signe d'approbation.
« Là-dessus, vous êtes pareil, non ? Vous avez peur de moi, de me faire face, peur de faire face à ma vraie substance. C'est pour ça que vous prenez une caméra. Ce n'est pas vrai ? N'est-ce pas plutôt vous qui devriez tourner le guidon vers le côté où vous tombez ? »
Son ton s'éleva mais perdait sa conviction petit à petit. C'était la même chose pour lui.
« Mais alors... C maîtrisa sa respiration. Pourquoi avez-vous accepté ma proposition ? Pourquoi êtes-vous venue à mon atelier ?
— Voyons... » Elle hésita. Elle chercha ses cigarettes, s'en mit une dans la bouche. « Je ne sais pas vraiment, pas encore. Avant, je croyais que si je transmettais mon travail par d'autres moyens d'expression, il ne m'appartiendrait plus. Non, en fait, j'avais surtout le vague pressentiment que si ça arrivait, ma vie, que j'avais tenue en main si difficilement, s'écroulerait à la base. C'est ridicule ? Les autres peuvent très bien penser que c'est rien du tout, mais moi, je suis un peu fatiguée maintenant et je commence à me demander s'il n'y a pas d'autres chemins que celui que j'ai persisté à suivre.
— Bon. Eh bien, essayons quand même. »

Contenus recommandés

Close

Notre site utilise des cookies et d'autres techniques pour offrir une meilleure qualité de services. En continuant à visiter le site, vous acceptez l'usage de ces techniques et notre politique. Voir en détail >