« La mort à demi-mots », roman de Kim Young-ha traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, paru chez Philippe Picquier en 1998.

* Extrait :
Mimi se lève et marche vers la sortie. Après qu'elle soit partie, C garde le lit, se nourrissant uniquement de bière et se repassant la cassette une dizaine de fois. Trois jours plus tard, il quitte enfin le lit et se remet au travail pour achever le montage. Mimi ne donne aucun signe de vie jusqu'au vernissage.
De son côté, K parvient au circuit de Yongin, près de Séoul, et gare sa voiture sur le parking.

Pages 124 à 126 :
La vitesse a été le dieu de K pendant les cinq dernières années de sa vie. Mais ce n'est pas un dieu très miséricordieux. Il n'offre la possibilité de l'accueillir qu'aux fidèles qui lui ont présenté assez d'offrandes. Ceux qu'il a choisis sont en train de faire leurs tours sur la piste. [...]
Dimanche, son jour de congé au garage, K venait souvent ici avec la voiture d'un client. Il y passait la journée entière en mâchant un hamburger froid comme aujourd'hui. Il y avait parfois de vraies courses et pas des entraînements. Il lui arrivait alors de ressentir parfois une forte émotion, comme un électrochoc, en voyant les voitures se retourner. Il enviait à la folie les pilotes qui sortaient en rampant de leur véhicule renversé.
[...] Le dieu de la vitesse attend un sacrifice. Quand il y en a un, les autres pilotes, loin d'être angoissés, sont plutôt rassurés. Le malheur d'un autre réduit la probabilité de leur propre malheur, doivent-ils penser. K se dit qu'il penserait la même chose à leur place.
Mais le dieu ne lui offre même pas la chance d'avoir un bon accident. Jamais il ne lui donnera une Ferrari ou une Lamborghini, qui dépassent facilement deux cent cinquante kilomètres à l'heure, ni une voiture avec laquelle il pourrait participer à une course comme celle-ci. C'est quand il a compris ça qu'il a commencé à faire le taxi à la station Sadang et il a cessé de venir ici. Pendant un temps, il a été content de sa Stella TX. C'est à cette époque qu'il a rencontré Seyoun. Mais elle n'est plus sur cette terre.
Je vais tout brûler. Il pense aux photos de voitures qui remplissent les tiroirs de sa chambre. Tout cela n'a aucune importance. À qui ça sert d'apprendre par cœur leur cylindrée et leur nombre de chevaux-vapeur ? Il regagne sa voiture dans le parking, y monte. Après tout... oui, après tout, il faudrait aller le voir.

Le jour du vernissage, Mimi fait son apparition.

Pages 126 à 127 :
[...] Quand le moment du happening est venu, elle se dirige vers l'œuvre de C et fait face au public. Sous la lumière et la musique prévues pour l'événement, elle toise les spectateurs de haut comme une reine, puis s'éclipse dans la pièce à côté. La lumière s'éteint et on entend la porte se rouvrir. Elle sort de la pièce. Quand le bruit de ses pas a cessé, les lumières se rallument et son corps blanc apparaît, qui reflète la lumière dans toutes les directions. La vidéo enregistrée chez C défile derrière elle comme un décor. Sur l'écran, elle se tortille comme un ver, le corps et les cheveux couverts de peinture bleue. Elle tourne la tête, regarde rapidement l'écran et se retourne vers le public. Elle commence. Debout sur une toile, elle tient dans la main droite un couteau qui jette des éclairs argentés. Elle va vers le haut de la toile comme un chat en train de ramper. Elle lève soudain le bras comme si elle était surprise par quelque chose et frappe la toile de haut en bas avec le couteau. Le tissu se déchire avec un bruit sourd. Un silence épais pèse sur le public. La lumière blanche illumine la toile.
[...]
Quand il ne reste plus rien à déchirer, elle se redresse. Debout sur la toile lacérée, telle la statue d'une déesse, elle attrape ses beaux cheveux épais de la main gauche et de la main droite se met à les couper avec le couteau. [...] C est saisi d'un frisson qui part du bout de ses orteils. Il détourne le regard vers la vidéo : Mimi est en train de barbouiller la toile avec ses beaux cheveux. [...] La Mimi de la réalité a presque fini ce qui semblait pourtant pouvoir durer une éternité. [...] Elle va dans la pièce où elle a laissé ses vêtements d'un pas agité. C reconnaît Judith dans cette silhouette qui lui tourne le dos. Mimi qui marche vers le pôle Nord lui fait penser à Judith qui a disparu dans la neige le jour de son anniversaire. [...]