« La mort à demi-mots », roman de Kim Young-ha traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, paru chez Philippe Picquier en 1998.

* Extrait :
À l'entrée de la galerie, C aperçoit un homme qu'il a déjà vu, mais dont il ne sait plus très bien qui c'est. Il passe devant lui après l'avoir salué et se dirige vers son œuvre. Un autre homme regarde son travail avec attention. Cette fois-ci, c'est quelqu'un dont il se souvient. C'est K.

Pages 131 à 133 :
« Quel bon vent t'amène ?
— J'ai pensé qu'il fallait qu'on parle, répond K en regardant la vidéo de C.
— Tu veux dire, de Seyoun ?
— Je ne veux pas dire que c'est ta faute. J'avais juste envie de me raconter.
— Oui. Ce genre de chose, c'est la faute de personne.
— Quand j'ai commencé à sentir ta lotion sur Seyoun, je n'étais pas en colère. Je n'étais pas déprimé non plus. Je me suis juste senti un peu fatigué. » [...]
« [...] Bon, Seyoun, elle peut très bien ne pas exister. Mais toi, tu vivras toujours comme ça et moi je continuerai à vivre en avalant du riz qui sent l'essence. Je veux juste savoir quand cette vie à trois bouts va se terminer. Aujourd'hui, je vais aller le plus vite que je peux. Oui. Jusqu'à présent, j'ai toujours levé le pied de l'accélérateur au dernier moment. Pour une fois, je voudrais l'appuyer à fond, jusqu'au bout. Jusqu'à ce que je m'envole.
— Si c'est vraiment ce que tu veux, ce n'est pas moi qui pourrai te retenir.
— Je me doutais bien que tu dirais ça. Au fait, il y a quelque chose que je voulais te dire aujourd'hui. Tu te rappelles quand notre maison a brûlé ?
— Bien sûr que je me rappelle.
— Tu as pleuré toute la nuit parce que tes papillons avaient brûlé. Moi, j'étais à la maison ce jour-là, mais quand tu es rentré de l'école, tu as d'abord cherché tes papillons avant de demander de mes nouvelles. »
C sourit amèrement en pensant que c'était tout à fait possible.
« Ce jour-là, je suis rentré de l'école assez tôt. J'ai pris un de tes papillons et j'y ai mis le feu. Pendant qu'il prenait dans une aile pour remonter vers le thorax, je pensais à rien. C'était tellement excitant ! Je pense maintenant que c'était la même sensation que la première fois qu'on couche avec une fille. Sans doute parce que je savais très bien que c'était ce à quoi tu tenais le plus. J'ai continué comme ça à brûler tes papillons un par un. Le feu a pris quelque part dans la chambre sans que je m'en rende compte. Je ne savais même pas que la couverture était en train de brûler, je continuais à m'occuper des papillons. Un peu plus tard, j'ai vu que les flammes grimpaient le mur et commençaient à lécher le plafond et j'ai pris la fuite. Quand tu es rentré à la maison et que tu as pleuré en appelant tes papillons, j'ai eu très peur et j'ai tremblé, mais d'un autre côté, je crois que j'ai éprouvé un certain plaisir.
— Pourquoi tu me racontes tout ça maintenant ?
— Ça me restait sur le cœur.
— T'en fais pas. Ils sont déjà morts, ces papillons.
— Ça doit être pareil pour Seyoun aussi. »
K quitte la salle sur ces derniers mots. C ne peut pas le retenir. Et le fait qu'il ne puisse pas le retenir est tellement naturel qu'il est à nouveau gêné.
De retour à son appartement, C met la cassette du travail de Mimi. Comme elle l'a dit, il peut la cloner cent mille fois maintenant.
Il regarde la cassette jusque tard dans la nuit. Le sommeil le gagne. Une fatigue et un ennui insupportables emplissent l'espace entre le moniteur et lui. Il s'endort un moment comme ça. Quand il se lève pour chercher un verre d'eau qu'il pose sur la table de nuit, il voit le moniteur de dix-sept pouces, seule source de lumière dans cet intérieur sombre. [...] L'appartement qu'il voit à ce moment-là est une grotte très profonde. Le moniteur bleu et solitaire qui luit, c'est Mimi et Judith à la fois.
Il appuie sur la touche de rembobinage. Il a tellement soif qu'il en a mal à la gorge.