« La mort à demi-mots », roman de Kim Young-ha traduit du coréen par Choi Kyungran et Isabelle Boudon, paru chez Philippe Picquier en 1998.

* Extrait :
C sort de la galerie et entre dans le premier café venu, mais il entend soudain la voix de Mimi derrière lui.

Pages 128 à 130 :
« Tu le sais, qu'on est de la même race ?
— Tu crois ?
— Tu veux savoir pourquoi j'ai décidé de travailler avec toi ? Alors que je n'avais jamais accepté d'être prise en photo ?
— Oui.
— C'était l'hiver dernier. Je m'étais produite dans un café tenu par un poète pour son ouverture. Je faisais ça depuis longtemps et je l'ai fait comme d'habitude. Ensuite, j'ai pris quelques verres avec les gens et je suis sortie dans la rue. C'était la fin de l'automne et le vent était très froid. J'ai continué à marcher comme ça et j'ai passé trois arrêts de bus. Je ne sais pas pourquoi. Je marchais, c'est tout. Et alors un homme s'est approché de moi et m'a demandé si j'aimais Klimt. J'ai répondu que oui. C'était un homme très étrange. Après avoir passé deux jours avec lui, j'ai décidé de me suicider. Malgré ses conseils, j'ai choisi de me trancher les veines dans une baignoire. La raison ? Il n'y en a pas. Ceux qui se suicident semblent avoir de bonnes raisons, mais c'était pas ça. Peut-être était-ce le spectacle de ce jour-là, je ne sais pas. Depuis dix ans que je faisais ça, j'avais toujours cru que je faisais du vrai art. Mais ce jour-là, j'ai brusquement pensé que ce n'était peut-être pas le cas. Je me suis rendu compte que je ne m'étais jamais regardée. J'ai eu l'impression que j'avais toujours vécu en fuyant quelque chose. Tout en me disant non, ce n'est pas ça, non, je continuais à tout fuir. J'ai raconté tout ça à cet homme. Il m'a serrée dans ses bras sans dire un mot et il m'a écoutée. C'était tellement doux et confortable que j'ai cru sentir le parfum de la mort. Grâce à cette rencontre, j'ai su ce que je fuyais. » [...]
« J'ai rempli la baignoire, je me suis déshabillée et je suis entrée dans la salle de bains. Je me suis vue dans le miroir. Pourquoi cette silhouette me paraîtrait-elle si étrangère ? Je suis entrée dans la baignoire. J'ai pris le couteau qu'il m'a passé. Et tout d'un coup, j'ai eu envie de me regarder encore une fois. J'ai fait comme ça trois allers et retours entre la baignoire et le miroir. Il se tenait derrière la porte de la salle de bains avec un doux sourire. Il m'a dit : je vous avais dit que ce ne serait pas facile. Maintenant, essuyez-vous et sortez de là. Passez-moi le couteau. Je lui ai donné le couteau et j'ai enlevé la bonde. Après m'être essuyée, je suis sortie de la baignoire. J'ai eu une forte sensation de vertige et je suis tombée. Quand je me suis réveillée, j'étais dans ses bras. Il ne dormait pas. J'ai eu l'impression que je venais de renaître. Il m'a dit que je pouvais revenir plus tard, que ce ne serait pas trop tard et qu'il fallait que je me repose pour l'instant. Il a dit que j'avais besoin de repos. Il a ajouté que s'il y avait quelque chose que j'avais toujours refusé de faire, je pouvais peut-être le faire en considérant que c'était la dernière occasion. Je lui ai tout raconté de ma vie et de mon travail et je lui ai dit que je voulais voir mon travail de mes propres yeux. Alors il m'a donné ton nom. Quand ton ami conservateur m'a proposé de travailler pour cette exposition, j'ai entendu ton nom dans la liste des participants et j'en ai été enchantée.
— Mais alors, pourquoi voulais-tu que je te rende la cassette ?
— Je ne sais pas exactement. Peut-être que j'avais peur d'être dans ce truc qui permet de me cloner à l'infini. Et puis, je ne supportais pas qu'elle soit entre tes mains à toi. Tu aurais dû faire l'amour avec moi. Ça aurait été plus facile pour les deux. »
Mimi le regarde longuement sans mot dire et passe devant lui. Il ne tourne pas la tête. Il revient à la galerie. [...]